Le métier des tabletiers, une ode à la patience : rencontre avec Stéphanie Millet, Maxime Desirest et Fabrice Soyez
Il est des destins insoupçonnés qui mènent tous sur le chemin de la nacre. Des destins discrets qui œuvrent tous ensemble pour faire perdurer et transmettre un savoir-faire traditionnel, immatériel, si précieux pour le futur : le savoir-faire des tabletiers. L’équipe de Vision Times est donc allée à la rencontre de ces artisans d’art, travaillant des matières nobles et luxueuses, avec une infinie patience et un grand respect au sein même du Musée de la Nacre.

Stéphanie Millet, tabletière, créatrice de bijoux, restauratrice, spécialiste de la nacre...
Un destin sur le chemin de la nacre...
Suivez-nous, chers lecteurs, dans les ateliers secrets du Musée de la Nacre, où nous rencontrons Stéphanie Millet, tabletière de profession, spécialiste de la nacre et des bijoux. Stéphanie travaille ici depuis plus de 10 ans déjà. Elle produit, crée, restaure tous types d’objets en matière naturelle et principalement la nacre, matière noble qu’elle affectionne tout particulièrement.
C’est une autodidacte au parcours atypique avec des « mains en or », sans mauvais jeux de mots, vous allez comprendre très vite pourquoi. Stéphanie nous livre son histoire, touchante... Emprunt d’une grande humilité, Stéphanie nous explique qu’elle se forme au quotidien, au fil des jours, au fil des expériences, qu’elle a énormément appris auprès des anciens et que si elle en est là aujourd’hui, c’est aussi grâce en partie à sa grand-mère. Stéphanie se remémore...

Tout d’abord esthéticienne, il y a plus de dix ans, Stéphanie se retrouve en recherche d’emploi, seule, traversant des épreuves éprouvantes de la vie. Elle perd également sa grand-mère adorée. Stéphanie est désemparée, demande de l’aide avec force, dans son cœur à sa grand-mère...C’est alors qu’elle tombe sur une petite annonce de Pôle Emploi proposant une offre d’emploi dans le domaine de fabrication de ...dominos. Stéphanie y voit comme un signe du destin, pour elle, ce n’est pas un hasard...En effet, Stéphanie était la seule à jouer énormément aux dominos avec sa grand-mère. Stéphanie s’est alors dit : « C’est un signe. Ce n’est pas grave, je ne sais pas faire de dominos, mais je vais essayer. » Arrivée au musée, Stéphanie satisfait à un test de création qui lui est demandé. Une semaine plus tard, elle débutait au Musée de la Nacre. À chaque fois qu’elle crée des dominos, Stéphanie pense à sa grand-mère. Elle possède désormais, un petit porte-clefs domino qui ne la quitte plus. Un destin pavé de dominos nacrés pourrait-on dire, quel beau symbole.

À droite : La Tour de Porcelaine, ou encore appelée le Temple de la gratitude à Nankin en Chine, dans une illustration de Fischer von Erlach (1721). (Image : National Palace Museum / Domaine public)
Un projet tombé du ciel : La restauration de la Tour de Nankin, une maquette d’architecture en nacre, originaire de Chine, par Stéphanie Millet et Jean-François Barthélémy
Qui connaît la Tour de Nankin ? Peu de monde me direz-vous. Et vous ? La connaissez-vous chers amis lecteurs ? En nous intéressant à la restauration de sa maquette, l’équipe de Vision Times a elle-aussi découvert son histoire... La Tour de Nankin aurait été construite en 1431, sous la dynastie Ming, en Chine sur les bords du Yanzi Jiang, à Nankin même. Elle aurait été détruite dans les années 1850 par les rebelles Taiping. Ceux-ci occupent alors Nankin, qu’ils renommeront Tianjing ou « La Capitale céleste », leur but étant d’éviter que la Tour ne tombe aux mains des Qing. Cette tour chinoise, connue également sous le joli nom de « Tour de Porcelaine » ou de « Temple de la Gratitude » aurait été pensée et dessinée par l’Empereur chinois Yongle au XVe siècle. Considérée comme une nouvelle merveille du monde par les occidentaux, elle aurait été décrite par un colonel anglais du nom d’Arthur Cunnynghame dans son compte rendu d’août 1842, après une visite à Nankin. Il l’a décrite comme l’un des plus grands et des plus beaux édifices de Chine de l’époque. La tour aurait eu une hauteur d’environ 80 mètres, formée de huit étages, et ce, sur des bases octogonales. Chaque étage aurait été consacré à une divinité bouddhiste, les murs extérieurs de la Tour recouverts de tuiles de porcelaine, et la nuit illuminée par plus de 140 lampes à huile. Des maquettes d’architecture de cette tour auraient été réalisées en Chine, l’une de 93 centimètres de haut et une un peu plus petite à notre connaissance. Ce serait Christophe-Paul Céleste, (tiens, Céleste comme la « Capitale céleste »...) de Robien (1698-1756 ?), collectionneur d’art français, alors président du Parlement de Bretagne, possédant un cabinet de curiosités, passionné par les beaux objets, la richesse culturelle et surtout la diversité des divinités, qui aurait été en possession de la maquette d’architecture de la Tour de Nankin, achetée en 1740 à Nankin même. Ce sera cette tour précisément qui sera restaurée ici à Méru par Stéphanie Millet et Jean-François Barthélémy. En 1789, les biens de M. de Robien seront saisis, déménagés sans ménagement, ayant pour conséquence, la dégradation de la Tour. Celle-ci sera retrouvée un peu par hasard, de nos jours, dans une boîte à chaussures, les huit étages séparés, toute la nacre tombée...

C’est là qu’interviennent donc les tabletiers du Musée de la Nacre de Méru dans l’Oise...
Stéphanie nous explique que c’est un projet qui leur est tombé « dessus ». Le Musée des Beaux-arts de Rennes cherchait quelqu’un ayant les compétences en nacre pour restaurer cette tour.
Elle souligne : « À l’époque de leurs recherches, je n’étais pas encore arrivée au musée. C’est assez drôle pour la petite histoire. Et à force de chercher, ils sont tombés sur le Musée de la Nacre de Méru. Quand ils m’ont proposé ce projet, j’ai tout de suite accepté. C’était un très gros challenge, étant donné qu’à l’époque, je n’avais pas encore assez d’expérience. C’était tout nouveau et je me suis dit : " Pourquoi pas ? " »
Une belle coopération entre artisans d’art pour cette restauration
Tout ce que Stéphanie connaît de cette maquette d’architecture, c’est qu’elle a une jumelle plus petite, exposée, semble-t-il, dans un château du Lincolnshire en Angleterre, au nord-est de Londres, entièrement nacrée également. Celle-ci sera précieuse, car elle permettra la restauration de sa grande « sœur » en France par les informations transmises par les confrères anglais. C’est ainsi qu’a démarré cette belle aventure de restauration avec une vraie coopération de corps de métiers si différents.
Un protocole de restauration est alors établi par un atelier régional situé en Bretagne, à Kerguéhennec (Morbihan), aussi Stéphanie et Jean-François doivent s’y conformer. La nacre utilisée est blanche, et provient d’une huître perlière blanche. En effet, avec le temps, la nacre de la Tour de Nankin a jauni, il faut tout remplacer.

Stéphanie parle d’un vrai défi : « Il a fallu énormément de patience...Le plus difficile, ce fut d’ajuster les plaques de nacre, car le bois avait beaucoup travaillé avec le temps. Chaque face paraissait identique, mais en réalité, rien ne l’était...Nous avons dû nous adapter au support. C’était très compliqué. Avec Jean-François Barthélémy, nous avons passé entre 500 et 600 heures de travail dessus, entre la pose des balustrades (des pièces pleines ont été ajourées pour réaliser le treillage...), les petites fenêtres à découper, les gravures... » Plus de six mois auront été nécessaires ainsi que 300 plaques de nacre afin de restaurer la Tour de Nankin. Le niveau de restauration est vraiment élevé. Et le résultat est impressionnant de finesse. C’est sublime.

Victor Hugo disait : « L’art, c’est le reflet que renvoie l’âme humaine éblouie de la splendeur du beau. »

Un défi créatif : le poisson combattant de nacre blanc de Stéphanie Millet
Fabrice Soyez, tabletier-dominotier, collègue d’atelier de Stéphanie, est ébloui par le travail de notre discrète Stéphanie, c’est pourquoi, du coin de l’œil, il nous guide vers une mystérieuse boîte, posée sur l’établi de cette dernière...Il l’ouvre et nous dit : « Regardez ce qu’elle sait faire...C’est magnifique ». En effet, une vraie splendeur, chers lecteurs. Platon ne disait-il pas que : « Le beau, c’est la splendeur du vrai » ? C’est un travail unique, une pièce rare et unique...vraie, tangible. À notre tour, nous sommes subjuguées par le magnifique poisson de nacre que nous découvrons… Stéphanie n’aime pas la routine et pousse toujours plus loin ses limites. Elle a un besoin vital d’apprendre encore et encore de la matière.
« Plus on travaille la matière, plus on l’aime. » nous souffle-t-elle.
Elle s’évade aussi en créant ces objets toujours de plus en plus créatifs. Ce magnifique poisson-combattant aura pris 100 à 150 heures. Il y a bien longtemps que Stéphanie ne compte plus vraiment ses heures tant elle est passionnée. Elle l’aime son métier, c’est sûr, elle l’aime…
Ce poisson-combattant naît lorsque Stéphanie est à la recherche de légèreté avec la nacre, ce sont les nageoires du poisson-combattant qui lui évoquent alors cette légèreté. Stéphanie trouve que la coquille dans laquelle on vient chercher la nacre est quelque chose de rigide, toujours d’une même forme, elle voulait obtenir un effet drapé, plus léger. Et voilà, ce magnifique poisson qui prend naissance entre ses mains. La nacre peut retourner à l’océan avec lui… Stéphanie précise que la difficulté dans ce travail d’art créatif résidait dans le fait qu’il faut retirer de la matière, mais...pas trop ! C’est compliqué de savoir jusqu’où l’artisan peut aller pour en retirer. Ainsi, y-a-t-il eu de nombreux loupés. Mais c’est en se trompant que l’on apprend, n’est-ce pas ? Stéphanie apprend plus de ses erreurs, c’est ce qu’elle nous confie.
Ainsi, comme le dit le vieil adage, « C’est bien en forgeant que l’on devient forgeron ». Stéphanie l’a très bien compris, intégré et n’hésite pas à faire et refaire, maintes et maintes fois. Le sens de l’effort est ancré en elle. « Nacré » en elle, oserai-je dire ?
Stéphanie essaie souvent de satisfaire les demandes de ses clients, des personnes qui cherchent à faire des cadeaux plus personnalisés ou à marquer un événement. Elle a par exemple réalisé des ailes d’anges, un pendentif en forme de guitare...Si vous cherchez, chers lecteurs, un cadeau spécial pour une personne spéciale, eh bien, rendez-vous au Musée de la Nacre de Méru, vous y trouverez une personne spéciale pour réaliser votre vœu. Demandez Stéphanie !

Stéphanie adore également travailler sur les éventails, cela lui est venu suite à une demande d’un particulier. Bientôt ce nouvel amour sera comblé, car Stéphanie aura fort à faire avec le Musée de l’Éventail qui arrive...
Conseils de Stéphanie Millet aux jeunes générations : « Suivre les signes... »
De plus en plus de stagiaires viennent au Musée de la Nacre. L’atelier est de plus en plus connu, notamment grâce à la notoriété de la restauration acquise par la Tour de Nankin. Stéphanie rappelle aux jeunes et leur conseille de foncer, même s’ils ne sont pas initialement préparés à un type de métier. Pour elle, chaque expérience est bonne à prendre et est prétexte à apprendre. Elle rappelle qu’au départ, elle était esthéticienne avant d’arriver au Musée de la Nacre, et qu’elle a gardé des compétences, des réflexes, qu’elle avait acquis durant son précédent métier.
Elle redécouvre des gestes qu’elle utilisait, qui lui sont utiles. La nacre ressemble un peu à de l’ongle. Donc, il ne faut pas hésiter à changer de voie si on en éprouve le besoin profond. Stéphanie part du principe que chacun a son propre destin, que le chemin de nos vies est déjà tracé, que nous avons juste à le suivre... « Suivre les signes » conclut-elle, « Suivre les signes » et écouter son cœur, sans nul doute.
Albert Einstein a dit : « La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritables. »

Maxime Desirest, tabletier-boutonnier au Musée de la Nacre...
Maxime nous reçoit à son tour dans l’atelier du Musée de la Nacre de Méru. Il nous explique qu’il produit pour la boutique du musée des objets et qu’il entretient également les machines. Il s’occupe, de plus, de restaurations exceptionnelles, comme par exemple, celle du miroir de l’ensemble du célèbre tabletier Aimé Jean-Baptiste Troisœufs, qui se trouve exposé actuellement au Musée de la Nacre du 25 janvier 2025 jusqu’au 30 juin 2025, l’exposition exceptionnelle étant intitulée : « Troisoeufs, l’histoire d’un ensemble unique. »
Maxime possède un brevet des métiers d’art en ébénisterie et un CAP de sculpteur sur bois. Le chemin de Maxime semblait naturellement se diriger vers celui du Musée de la Nacre... En effet, à l’époque, Maxime devait réaliser un stage dans un métier d’art « autre » que celui du bois. Le Musée de la Nacre étant proche de chez lui, c’est ici tout naturellement qu’il a décidé d’effectuer son stage lors de ses études d’ébénisterie.
Maxime aime surtout l’aspect technique, la matière en elle-même, la nacre est une belle matière à ses yeux. Il aime les bois exotiques, l’os...Ce sont des matières agréables à travailler, luxueuses. « Cela fait plaisir de travailler de telles matières. », nous explique-t-il.
Maxime nous confie qu’il ne faut pas que tout ce savoir-faire se perde, notamment concernant la fabrication des boutons en nacre, avec les machines d’époque et les méthodes de l’époque. Aujourd’hui, par exemple, concernant les boutons, les dominos, ils ne sont plus que deux tabletiers-dominotiers à les travailler ici, à Méru.

Restauration d’un ensemble exceptionnel en nacre, d’Aimé Jean-Baptiste Troisœufs, tabletier-éventailliste
Maxime Désirest, Stéphanie Millet en partenariat avec Marie-Cécile Cusson de l’atelier régional de restauration de Bretagne ainsi que Marc Voisot de l’atelier Chronos pour le mécanisme ont participé à la restauration de l’ensemble Troisœufs qui comprend une horloge, un miroir monumental et deux candélabres. Cet ensemble ayant été offert à la mairie de Méru par la grande famille du célèbre tabletier-éventailliste Aimé Jean-Baptiste Troisœufs, le 14 novembre 1878, afin de démontrer leur savoir-faire traditionnel. Cet ensemble incroyable et colossal restera exposé à la mairie de Méru jusqu’en 1999, puis sera ensuite déposé au Musée. L’ensemble est recouvert de milliers de morceaux de nacre, imaginez, chers amis lecteurs, la patience infinie qu’il aura fallu pour le créer et le restaurer...

Notons également, chers amis lecteurs, qu’il paraît évident que l’industrie de la nacre est intrinsèquement liée à la vie des grandes familles de tabletiers de la région et de l’époque. En effet, par le biais des rachats d’usines, des fusions, des alliances diverses et variées, la nacre vit et évolue au travers d’elles...

Fabrice Soyez, tabletier-dominotier et médiateur au Musée de la Nacre...
C’est en compagnie de Fabrice Soyez, endossant la casquette, à présent, de guide-conférencier que nous allons découvrir les grands ateliers du musée. Fabrice Soyez est l’un des deux dominotiers avec Jean-Christophe Dunil qui perpétuent le savoir-faire traditionnel de fabrication des dominos, ici à Méru, voire les deux derniers en Europe avec ces méthodes traditionnelles-ci. Fabrice va ainsi faire tourner les machines dès notre arrivée, et c’est Jean-Christophe qui en assure la maintenance.
Fabrice avait, semble-t-il, un destin tout tracé sur le chemin de la nacre, tout comme ses acolytes. En effet, Fabrice est né dans un quartier qui ne portait pas encore de nom...Et nous vous le donnons entre mille, chers lecteurs, à votre avis quel a été le nom futur de ce quartier ? Et oui ! Le quartier de la Nacre ! Et bien sûr, quand Fabrice part en vacances, c’est bien sûr, sur les côtes de la Nacre au camping de la Nacre ! Et lorsque la petite sœur de Fabrice se plonge dans l’arbre généalogique de la famille et qu’elle remonte jusqu’à la cinquième génération, que trouve-t-elle ? Et oui des ancêtres tabletiers ! Fabrice Soyez était donc vraiment destiné aux métiers de la tabletterie.

La tabletterie
Mais qu’est-ce que la tabletterie en fait ? Il s’agit de la fabrication artisanale de tous les petits objets du quotidien comme les boutons, les nécessaires d’hygiène, de toilette comme les peignes, les brosses, les poudriers, la manucure, les nécessaires en coutellerie, les nécessaires d’écriture (coupe-papier, presse-papier...), les nécessaires de couture, les accessoires de mode, les ombrelles, les cannes, les boîtes, les bijoux, les petits outils de sciences, les jeux, les éventails, en musique pour la décoration des instruments, le mobilier, la table, les lunettes, les jumelles pour le théâtre, des petits objets religieux (chapelets), etc.
Fabrice Soyez nous explique qu’au départ, à Paris, la tabletterie ne fabriquait pas tout cela. En effet, au XIIIe siècle, les tabletiers commencent par fabriquer des tablettes à écrire, luxueuses parfois en ivoire, puisqu’au départ elles sont destinées aux personnes qui savent lire, comme le pape, les cardinaux, les évêques, puis, au fil du temps, ce seront les prêtres des régions qui utiliseront petit à petit des tablettes en bois. Les surfaces sont alors creusées et, à l’intérieur, le tabletier fait couler la cire liquide qui durcit, et c’est à l’aide d’un stylet que les religieux « écriront » dessus, graveront des écrits pour s’échanger des messages ou conserver leurs pensées religieuses.
À l’époque, les jeux de plateaux s’appelaient des « tables de jeux ». On parle de tablettes à écrire également, le mot « tabletier » est ainsi né. Et puis, après la Révolution française, les tabletiers ont décidé de s’associer avec d’autres corporations de métiers, une corporation étant un groupe de personnes qui fabriquent les mêmes objets. En 1640, les déciers (fabricants de dés à jouer) s’associent par exemple, puis les peigners (fabricants de peignes), les paternostriers (fabricants de chapelets) et ainsi de suite, ce qui formera un groupe énorme, une seule et même grande corporation : celle des tabletiers, mais chaque corps de métier conservera son nom de départ : les fabricants de dés seront des tabletier-déciers, les fabricants de dominos, des tabletier-dominotiers, etc. Les tabletiers travaillent essentiellement des matières premières animales ou végétales naturelles comme : l’os, le bois, la corne, l’ivoire, les écailles de tortues, la nacre… Ainsi, on trouvait des personnes spécialisées dans un seul domaine, une seule matière. Par exemple, les ivoiriers ne travaillaient que sur l’ivoire, les cornetiers que la corne, etc. Et d’autres personnes étaient plutôt spécialisées sur une certaine typologie d’objets. Par exemple, les boutonniers ne fabriquaient que des boutons, les couteliers que des manches de couteaux, etc. Et parfois, il pouvait y avoir des spécialités, à la fois typologiques et de matière, par exemple, des personnes ne fabriquaient que des couverts à salade en corne.
La tabletterie arrive à Méru...
C’est sous Louis XIV que Colbert, alors Premier ministre, parlera de décentralisation. Il aurait demandé aux entreprises qui se trouvaient au cœur de Paris d’emmener les machines en province. Selon des recherches sourcées, une famille de damiers de Paris aurait noué des liens avec la région méruvienne, région où il y avait à l’époque une main-d’œuvre bon marché qui incluait les paysans de la région.
Cependant, les estampilles de l’époque restent celles de Paris, plus vendeuses que celles de Méru. En effet, à l’époque, Paris est déjà renommée pour la haute couture, la joaillerie, le parfum, la tabletterie.

La fabrication des dominos
Fabrice Soyez nous explique que la fabrication des dominos nécessite une grande dose de patience, car le processus est très long. Pour un jeu simple de dominos composé de 28 pièces, il y a 28 étapes, allant du « découpage » au « biseautage », en passant par le « polissage », au « perçage », au « mouchetage » entre autres étapes.

Les dominos de Méru sont réalisés depuis 1910 avec des os de bœufs originaires d’Amérique du Nord ou d’Argentine. Fabrice Soyez nous interpelle : « Mais pourquoi aller si loin ? » La 1ère raison : il faut savoir que l’âge d’abattage des bœufs dans ces pays est de 7 à 8 ans, alors qu’en France, il est de l’ordre de 3 à 4 ans. Ainsi, les bœufs vivant plus longtemps, l’os outre-Atlantique est beaucoup plus dur, plus dense, plus « costaud ».
La seconde raison, c’est que dans ces pays les troupeaux sont de l’ordre de 20 000 à 30 000 têtes de bétail, alors qu’en France les troupeaux sont beaucoup plus petits ! Cependant, lorsque les os arrivent en France, il y a encore la chair, c’est plus économique pour les exportateurs outre-Atlantique. Il faudra alors cuire les os, enlever les chairs, vider la moelle osseuse après avoir coupé les extrémités des os et les avoir immergés dans de gros tonneaux remplis d’eau de pluie. Ce processus prend plusieurs semaines avant que la moelle osseuse tombe au fond du tonneau. Les os nettoyés seront alors divisés en deux gros morceaux, et chacun sera découpé en trois petits morceaux. Dans un os, six plaquettes seront ainsi réalisées.
Les dominos seront ainsi composés d’os et d’ébène, soudés ensemble par deux rivets. La pièce, ensuite, est poncée, les quatre côtés de l’os sont arrondis. Le pivot central sert à faire tourner la pièce sur la table, servant ainsi de protection à l’os ou à d’autres belles matières. Le polissage durera 56 heures, cela garantira la brillance de chaque pièce. De 1 000 à 1 500 pièces sont placées en même temps dans de gros tonneaux. Cela représente environ 50 jeux. Puis, les jeux partiront aux domiciles des ouvriers. À l’époque, ce sont les femmes qui s’occupent de l’étape du perçage. Une femme travaillait 10 à 12 heures par jour et gagnait 1,50 euro par jour environ, un homme, pour le même travail, gagnait trois fois plus. Un jeu de dominos comprend 28 pièces, donc 168 trous. Il faut savoir que les femmes à l’époque perçaient en une heure... 20 jeux, soit quelques 3 660 trous ! Fabrice, avec le sourire, nous indique que lui, en une heure, réalise 1 680 trous ...Les femmes à l’époque réalisaient donc une sacrée performance, à savoir, un trou par seconde, et ce, sans gabarit, sans repère, à l’œil !
Nous apprenons également qu’à l’époque, il existait des jeux de dominos avec des doubles 9, soit des jeux de 55 pièces, achetés en grande quantité par les Anglais, d’où leur nom de « jeu anglais ». Il existait également des jeux avec des doubles 12, jusqu’en 1910, environ.
Toute la famille était donc mise à contribution, même les enfants, qui eux, s’occupaient essentiellement du « mouchetage ». Les enfants peignent les petits points noirs des dominos. Ils étaient rémunérés à hauteur de 0,50 centime d’euros par jour. Pour moucheter les dominos, un mélange savamment dosé est utilisé, le noir de fumée ajouté à une laque fabriquée à partir d’une sécrétion de cochenille asiatique, dilué à l’alcool à brûler. L’encre de Chine n’est pas utilisée car elle est trop liquide. Les enfants utilisent des têtes de clou. Avec une goutte, les enfants bouchent un trou. Ce travail sera réalisé par les enfants après l’école.
La machine à vapeur, pièce centrale du musée de la Nacre
Fabrice Soyez nous parle avec passion du cœur qui bat et fait vivre les ateliers du Musée : la machine à vapeur ! Celle-ci date de 1902 et fonctionne toujours, c’est elle qui alimente en énergie toutes les machines des ateliers. Elle a été fabriquée à Rantigny, près de Creil. Cette machine a été offerte par le grand-père d’une famille à son fils comme cadeau de mariage, car celui-ci ouvrait une usine. La machine, à l’époque, est gourmande, elle avale 12 stères de bois et 20 000 litres d’eau en une journée !
La nacre
Dans les ateliers, Fabrice nous présente différents coquillages utilisés pour leur nacre. Ceux-ci viennent du monde entier : Japon, Indonésie, Nouvelle-Calédonie, Singapour...Nous trouvons des haliotides ou ormeaux, des Burgaux, des huîtres perlières dont la nacre est très blanche, le Troca nacrier et bien d’autres. Il faut savoir qu’il y a 75 % de déchets sur une coquille nacrée. Ces déchets seront recyclés, nous les retrouverons dans les allées de jardin, dans les cimetières, sur les trottoirs, les champs...jusqu’en 1945 environ. « Rien ne se perd », comme disait Lavoisier, « Tout se transforme. »

La fabrication des boutons
Lorsque vous visiterez les ateliers en compagnie de Fabrice, vous entrerez dans le monde des cinq sens. Vous venez de voir la matière, les différentes nacres avec les différents coquillages, ensuite, vous mettrez votre ouïe gentiment à l’épreuve avec le bruit des machines, et puis, l’odorat, lors du découpage des boutons, du meulage, vous aurez tout de suite l’impression d’être chez votre dentiste lorsque la fraise vous caresse l’émail. Fabrice nous parle de « l’éternel brouillard de poussière blanche » et nous rappelle qu’à l’époque, il n’y avait ni masque pour couvrir la bouche et le nez, ni casque pour les oreilles, ni aspirateur. Vers 35/40 ans, la poudre de nacre pouvait engendrer la maladie de la silicose chez les ouvriers. Fabrice nous met dans les mains les boutons dégrossis, ainsi vous pourrez toucher la matière, toucher l’objet réalisé et produit par les machines traditionnelles d’époque.
Différentes étapes, comme pour les dominos, jalonnent le parcours de la visite : le ponçage, qui peut durer entre 1h30 et 8h selon la variété du coquillage, une palourde, par exemple, ne devra pas être poncée plus d’1h30 sinon elle ressortirait en poudre. Lors de ce processus de ponçage, la pierre ponce est utilisée avec de l’eau savonneuse. Dix diamètres de boutons différents peuvent être mélangés dans la même machine, mais il faut absolument que la matière des coquillages soit identique et que l’épaisseur soit la même.
Une autre étape va suivre, c’est celle du calibrage : dix passoires calibrées par diamètre sont utilisées, en commençant par le diamètre le plus grand. Puis, le polissage, qui dure 56 heures, et ce, avec de la sciure de bois, de la graisse animale et de la paraffine, dans un tonneau. Puis, c’est au tour de la teinture, opération délicate car elle nécessite quatre semaines de la teinte la plus claire à la plus foncée, et un savoir-faire très précis dans les dosages.
Comme le disait Diderot : « Il faut être enthousiaste de son métier pour y exceller. »
C’est pourquoi l’équipe de Vision Times France remercie infiniment tous ces passionnés qui excellent dans leur métier, M. Florentin Gobier, pour nous avoir ouvert les portes de son Musée de la Nacre et avoir partagé avec nous sa passion et son amour pour le patrimoine français. Nous lui souhaitons une magnifique continuation avec l’installation du Musée de l’Éventail de la famille Hoguet.
Nous remercions également infiniment les artisans : Stéphanie Millet, Maxime Désirest, Fabrice Soyez, pour leur chaleureux accueil au sein même de leur atelier particulier de création et d’avoir échangé avec nous sur leur métier, leurs objets, leurs techniques et les matériaux qu’ils affectionnent. Nous les remercions également de transmettre leurs savoir-faire traditionnels, précieux sésames pour le futur, et ce toujours avec le sourire ! Merci également à Loréva Barreau, chargée de communication, ainsi qu’à Gracietta Osorio pour l’accueil en boutique.
Vision Times France reviendra sans nul doute, chers amis lecteurs, pour vous faire découvrir le Musée de l’Éventail d’Hervé Hoguet qui prendra toute sa place d’ici 2028 au cœur du Musée de la Nacre et de la Tabletterie de Méru.
Si vous passez en Picardie, n’hésitez plus, rendez-vous au Musée de la Nacre et de la Tabletterie, de plus, en période estivale, profitez des vendredis après-midi gratuits ! Et les jeudis, profitez en famille d’ateliers ludiques et créatifs. Les enseignants ne seront pas en reste avec leurs élèves, alors ? Il n’y a plus qu’à…
Si vous souhaitez de plus amples informations :
C’est par ici 👉 Musée de la Nacre et de la Tabletterie Belle visite à tous !
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