La vielle à roue : instrument traditionnel, folklorique, toujours vivant aujourd’hui
Sébastien Tourny, luthier de son métier, au pays des Maîtres Sonneurs, semble avoir un nom de famille bien prédestiné…Non pas qu’il nous donne le « tournis »… mais bien parce qu’il « tourne, tourne » la manivelle des vielles à roue qu’il conçoit très patiemment dans son atelier d’artisan d’art, ici dans la région Centre- Val de Loire, dans la petite ville de La Châtre.
C’est donc en toute simplicité, en compagnie de son chien et avec un grand sourire, que nous reçoit Sébastien Tourny, célèbre luthier de la région, facteur de vielles à roue.
Sébastien Tournis, luthier, facteur de vielle à roue, un destin, une vie
La vielle à roue s’impose en douceur à Sébastien Tourny, dès son enfance
« Par hasard… », nous dit-il … Mais y-a-t-il vraiment un hasard, chers lecteurs ? Sébastien Tourny nous raconte comment la vielle à roue s’est imposée à lui alors qu’il n’était encore qu’un enfant…Son destin basculait déjà sans qu’il en ait conscience.
Il nous raconte qu’il a débuté la musique à 6 ans au Conservatoire de Châteauroux. Qu’aujourd’hui, il a 50 ans et que cela fait donc un petit moment qu’il joue de la musique. À cette époque-là, à partir de 6 ans, avant de pouvoir jouer d’un instrument, il fallait assimiler deux ans de solfège. Sébastien Tourny nous explique qu’il n’était fait, ni pour l’école, ni pour le solfège, ni pour la théorie.
Nous comprenons alors aisément qu’il avait un besoin vital d’agir concrètement sur le monde qui l’entourait avec les mains. Il a donc dû réitérer une troisième année puisque son objectif premier, c’était de jouer de la trompette. Il s’est donc présenté au Conservatoire pour cet instrument. Cependant, avant d’être accepté, l’examinateur testait les postulants élèves avec un exercice de lecture de partition. Il fallait être assez rapide. Sébastien Tourny était le cinquième sur le banc des éprouvés. Les cinq premiers élèves ayant réussi à chanter la première ligne, Sébastien Tourny l’avait mémorisée simultanément. Aussi, l’a-t-il dit tout de suite.
L’examinateur s’est alors exclamé malicieusement : « - Super, tu lis super bien. Tu es le meilleur, tu vas lire la deuxième ligne maintenant… » Et là, catastrophe, ce fut la douche froide pour Sébastien Tourny qui fut recalé. Il était alors sur le point de sortir du conservatoire, quand, dans le couloir, il exprime clairement à sa mère… « C’est bon, j’arrête la musique et je me mets au judo ! »
À cet instant précis, le professeur de vielle à roue qui s’appelle Jacques Lecouturier, habitant La Châtre également, entre et entend cette phrase. Il lui dit alors : « Si tu veux… Moi, je peux t’apprendre à jouer d’un instrument… sans solfège. » Et c’est ainsi que Sébastien Tourny a découvert la vielle à roue. Ce jour-là, il ne savait pas que cela allait lui changer la vie pour toujours. Le jour où la vielle à roue s’installa sur ses genoux, ce fut une vraie révélation.
« Il n’y a rien de bon ni de mauvais sauf ces deux choses : la sagesse est un bien, l’ignorance est un mal. »
Platon
« On ne peut ni échapper au regard des Dieux, ni les contraindre. »
Platon
« C’est un instrument qui m’a tout de suite plu …Je n’aimais pas trop l’école, je me suis réfugié plutôt dans la musique où j’y passais des heures et des heures. J’étais très motivé. Cela avançait assez vite. Très vite, j’ai joué avec des amis : Daniel Langlois et Gérard Guillaume… Daniel est professeur de cornemuse à Nevers, à Bourges … », poursuit Sébastien Tourny.
Avec ses amis, Sébastien Tourny avait monté un Trio qui s’appelait Le Trio des Cornemuseux de la Brande . Ils animaient les Saints Blaises, les Saints Vincent : ce sont des fêtes traditionnelles religieuses auxquelles les habitants de la région sont très attachés et durant lesquelles ils se retrouvent, ensuite, autour d’un bon repas au village. Le Trio animait aussi des soirées bals, des soirées contes avec Jean-Pierre Michaud et Jean-Louis Boncoeur. Lorsque ceux-ci filaient se grimer et se changer, le Trio jouait pour faire patienter le public. La vielle à roue nourrit très souvent musicalement les histoires du Berry, les contes anciens de la région.
Sébastien Tourny continue en ces termes : « À partir de 12, 13 ans, j’étais beaucoup avec mon oncle menuisier : Roger Chamenas qui avait des machines chez lui. L’été, il faisait des petites choses pour les voisins et je l’aidais. C’est lui qui m’a donné l’amour du bois. En fin de troisième, je suis arrivé ici au lycée professionnel de La Châtre, axé sur le travail du bois, où j’ai passé mon CAP, BEP de menuiserie et après mon CAP d’ébénisterie. Ensuite, j’ai fait un diplôme dans la restauration de meubles anciens, où j’ai appris la sculpture, le vernis au tampon, la marqueterie.L’objectif, c’était de fabriquer des vielles à roue ».
« Quand j’ai commencé la vielle à roue au Conservatoire en 1983, il y avait quelques vielles qui étaient en location au Conservatoire. Il y avait un petit papy qui s’appelait André Gorgeon, (une figure emblématique du Berry dans son domaine) logeant sur Châteauroux. Il était sculpteur, ébéniste et surtout tourneur sur bois. Il s’est mis à fabriquer des vielles au moment de sa retraite, en 1974 (…), quand je suis né. Il en a vendu quelques-unes, et plus tard, lorsque j’avais 14, 15 ans, je suis allé très souvent chez lui. »
« C’est avec lui que j’ai appris le métier. J’avais ma mobylette. Je pouvais me rendre chez lui souvent le samedi après-midi. Après, le samedi toute la journée. Après, tout le week-end. Puis, toute la semaine en vacances. Je dormais chez lui. C’est vraiment lui qui m’a donné la passion de la lutherie. » .
Aujourd’hui, Sébastien Tourny sait très bien lire les partitions, il connaît le solfège. Il existe bien des partitions pour les vielles à roue, mais « cela se transmet aussi beaucoup à l’oralité » comme il le souligne. C’est aussi une tradition orale, donc.
« Dans la musique traditionnelle de vielle à roue, les morceaux font 32 mesures, c’est assez facile à mémoriser. Mais lorsque le musicien souhaite partir sur d’autres genres de musique comme la musique classique ou baroque, là, la mémoire ne suffit plus », explique Sébastien Tourny. C’est pourquoi, à l’âge de 18 ans, il est retourné apprendre le solfège, et là, il savait pourquoi : cela avait un sens profond pour lui.
« Il n’y a qu’en France que nous avons le mot ’’solfège’’. En France, on fait d’abord la théorie avant la pratique, alors que dans tous les autres pays, les futurs musiciens jouent d’abord de leur instrument pendant plusieurs années, et ensuite ils apprennent la théorie pour comprendre ce qui se passe. Ils appellent cela ’’la théorie musicale’’, c’est plus simple. Chez nous, en France, c’est moins simple. C’est comme si nous, les français, devions apprendre à lire avant d’apprendre à parler.»
« Et puis, j’ai eu la chance, par le biais du Festival de Saint Chartier en 1997, de rencontrer Bernard Kerboeuf qui était facteur de vielle à roue sur la Bretagne . À ce moment-là, comme la Bretagne est un peu excentrée, il n’y avait pas beaucoup de joueurs de vielle. Il est venu s’installer au centre de la France pour toucher beaucoup plus de monde.
Bernard Kerboeuf arrive en 1996 à La Châtre et en 1998, il m’a embauché. Il existe bien sûr des écoles de luthiers, mais pas en vielle à roue. Il y a Mirecourt qui est sur le Quatuor, il y a Itemm qui est plus accès sur l’accordéon chromatique, la guitare, le saxophone, tous les cuivres, le piano et il y a aussi le côté " régie ", son… où sont formés des ingénieurs du son etc. Mais en vielle à roue, il n’y a pas », complète Sébastien Tourny.
Sébastien avait donc depuis l’enfance son chemin bien tracé, rencontrer les bonnes personnes, juste au bon moment et écouter son cœur et ses aspirations.
Collaboration Lu Malvino
Reportage Lu Malvino & Laurence Lefebvre
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