La taille de pierre est un des métiers fondateurs de notre civilisation humaine. Grâce aux tailleurs de pierre, de simples maisons ont été construites durant des siècles. Plus encore, leur savoir-faire et la passion de leur métier nous permettent d’admirer et d’honorer de nombreux édifices et chefs-d’œuvre d’architecture, particulièrement en France.
De nos jours, les tailleurs de pierre œuvrent principalement dans la restauration de bâtiments historiques. Cependant, nombre de commandes de pierres taillées viennent de propriétaires qui souhaitent embellir leur patrimoine.
« La taille de pierre reste un métier traditionnel. Nous avons la chance de travailler encore beaucoup manuellement. Nous avons les mêmes outils que ceux utilisés par les Romains. Nous avons bien entendu aujourd’hui des outils mécaniques et des moyens de levage qui nous facilitent la vie. Cependant, cela reste essentiellement traditionnel avec la recherche de l’esthétisme et des effets de lumière. C’est le travail de l’outil qui fait la beauté de la pierre taillée. Le savoir-faire d’un tailleur de pierre est très vaste », affirme Jean-Michel Bouchard, compagnon tailleur de pierre de l’Oise.
Les différentes nuances qualitatives de pierres
On trouve dans la nature une grande gamme de dureté des pierres : cela va des pierres tendres à fermes, puis dures jusqu’aux pierres froides. Dans le monde minéral, il y a cinq grandes familles de pierres : les calcaires, les grès, les marbres, les granites, les laves. Dans le calcaire en particulier, on trouve toute la gamme de dureté, de très tendre à froid. Les pierres calcaires tendres, comme le tuffeau, ont servi à édifier les châteaux de la Loire, et aussi en grande partie la cathédrale de Nantes. Néanmoins il y a beaucoup de pierres calcaires dont la dureté se rapproche de celle du granit.
Un ouvrage bien conçu fera appel à plusieurs qualités de pierres. On donne souvent la priorité à de la pierre tendre qui a beaucoup de qualités liées à une certaine facilité d’extraction et de taille, mais qui ne répond pas toujours aux exigences techniques du chantier. On peut donc être amené à mélanger différentes sortes de pierres.
Les méthodes pour différencier chaque pierre taillée de l’ouvrage et les dessiner si nécessaire
Pour construire un édifice en pierre taillée, le plan de l’architecte va être repris par l’appareilleur. Tout l’art de l’appareilleur est, à partir de ce plan, de visualiser et de dessiner précisément la forme et la taille qu’auront, dans l’ouvrage, chacune des pierres taillées. À lui de décider comment elles vont s’agencer.
Un calepin d’appareil a pour but de prévoir le prix. Il est doublé du calepin de pose, ce qu’on pourrait appeler dans le langage courant actuel la notice de montage. Les calepins d’appareil et de pose peuvent devenir très surchargés et compliqués. Il faut répartir le travail entre les différents tailleurs de pierre, et donc chaque pierre porte un numéro.
Toutes les pierres occupent une position précise qui permet de répartir le travail, de conditionner les pierres sur les palettes et de les emmener au chantier. Il est important que le maçon sache rapidement où doit être posée chaque pierre, qu’il n’ait pas à réfléchir pour chercher sa place, car il y a des éléments de l’ouvrage qui font plusieurs centaines de kilos et il n’est pas permis de se tromper.
Une fois que les calepins d’appareil sont faits, l’appareilleur va étudier des pierres aux formes particulières, et là il va travailler en trois dimensions. L’appareilleur utilise une discipline de géométrie descriptive : la stéréotomie, c’est-à-dire l’étude de la découpe et de l’assemblage des pierres de taille. Il faut étudier les pierres séparément, pénétrer mentalement à l’intérieur de l’ouvrage, l’éclater sur le papier, le décortiquer et obtenir des mesures utilisables pour faire des épures de chaque pierre à tailler.
Une fois qu’on a vaincu toutes les difficultés du traçage des épures (qui peuvent être très complexes), on fait des gabarits exécutés grandeur nature, quelle que soit la taille de l’ouvrage, que l’on va donner au tailleur de pierre. Les gabarits sont faits sur des panneaux fins, on utilise aujourd’hui principalement des feuilles plastiques transparentes et semi-rigides. Le tailleur de pierre va appliquer son gabarit sur son bloc « capable », c’est-à-dire un bloc de pierre dégrossi au maximum, mais pouvant contenir toute la pièce à tailler.
Une jeune femme passionnée par la taille de pierre
Cassandre-Marie, de la région Grand-Est, se présente ainsi : « Je voulais faire quelque chose qui compte, quelque chose qui est manuel. Le concept de tailleur de pierre, pour moi, c’était quelque chose d’impressionnant, et du coup, j’ai voulu essayer et ça m’a plu. J’ai fait un CAP en un an, puis ensuite j’ai fait un brevet professionnel mention monument historique, donc deux ans d’apprentissage en tant que tailleur de pierre ».
« En ce qui concerne le poids de la pierre, avec des techniques de positionnement, on ne se blesse pas. Pour toutes celles qui font plus que 30 kg, ce sont des machines qui vont les soulever », explique-t-elle. Cassandre-Marie confie qu’elle s’est découverte, de plus, des talents qu’elle ne soupçonnait pas en elle. Ce métier la plonge dans un état de concentration qu’elle ne retrouve nulle part ailleurs.
« J’utilise des outils classiques, des ciseaux à pierre de différentes tailles avec une massette. J’aime bien le fait que ce soit quelque chose avec un savoir-faire ancestral », ajoute Cassandre-Marie. « Là je travaille sur une rosace, une pièce pour la cathédrale de Strasbourg. Cela peut prendre un mois pour la réaliser. Je travaille plutôt en atelier, à 90 % du temps. C’est une autre équipe qui va faire la pose. »
L’outillage du tailleur de pierre n’a pas changé depuis trois millénaires
L’outillage est ce qui relie, dans leur cœur, les nouveaux tailleurs de pierre à tous les autres jusqu’aux plus anciens de notre civilisation.
Les tailleurs de pierre sont réputés avoir une grande conscience professionnelle. « Elle est liée au fait d’avoir des outils qui ont appartenu à des hommes de valeur, et quand on a ces outils en main, on ne peut pas faire n’importe quoi avec », souligne le tailleur de pierre Serge Luniaud, dans le documentaire Voyage au centre de la pierre.
Traditionnellement, pour préparer la pierre à tailler, il y avait tout d’abord la scie manuelle pour débiter les blocs de pierre. Puis on se servait d’outils de percussion lancés : pics et têtus, taillants à pierre dure ou à pierre tendre pour dégrossir, bouchardes (marteau à pointes pyramidales) de toutes sortes, pour régulariser la surface des pierres.
Les outils sont tenus à pleines mains, et guidés avec l’index, même les plus lourds. « On communique avec la matière au travers de l’index. Notre index empêche l’outil de tourner et en même temps la pierre communique avec nous, on sent les vibrations… là c’est un vécu, à force de faire, tu sais que ça va se comporter de telle façon, et aussi parce que tous les sens sont en éveil : la vue, le toucher, l’ouïe très importante, car le son de la pierre sous les outils donne beaucoup d’indications », dit Serge Luniaud.
Les tailleurs utilisent ensuite des outils tels que les ciseaux et les chasses, percutés par une massette en métal ou un maillet en bois. La finition des pierres taillées se fait avec des « chemins de fer » de toutes grandeurs et de toutes formes. Tous ces outils traditionnels serviront à passer d’une pierre tout juste dégrossie, par ailleurs utilisable telle quelle pour la maçonnerie de murs quelconques, à une pierre taillée et affinée pour les plus belles réalisations et les édifices prestigieux.
« Travaille comme on prie, sans haine et sans envie »
Le tailleur cisèle et affine sa pierre, mais il travaille pour une œuvre commune. Sa pierre taillée doit se raccorder parfaitement à l’autre, taillée par un autre peut-être. Il n’y a que l’exigence de qualité qui permet aux pierres de se raccorder sans défauts entre elles.
« Le geste emblématique du tailleur de pierre, je dirais que c’est la frappe avec un percuteur. Cela peut paraître violent, mais il n’y a pas de violence dans la frappe du tailleur de pierre, on n’enlève pas de vilains éclats. J’ai coutume de dire que si notre pierre est belle, c’est parce qu’on fait de beaux éclats… il y a le respect », explique Serge Luniaud.
Voici une histoire qui vient du Moyen-Âge et qu’on raconte encore maintenant : un promeneur passe sur le chantier d’une cathédrale et voit trois tailleurs de pierre qui œuvrent au pied de celle-ci. Au premier, il demande : « Que faites-vous l’ami ? - eh bien, je gagne ma croûte ». Au deuxième, il demande à nouveau : « Que faites-vous l’ami ? - moi je taille une pierre ». Au troisième, la même question : « Que faites-vous l’ami ? - moi Monsieur, je bâtis une cathédrale… »
« Dans notre esprit, bâtir la cathédrale, ce n’est pas uniquement travailler sur un grand édifice, c’est aussi accomplir son chef-d œuvre intérieur. La taille de pierre fait partie des métiers initiatiques par excellence, parce que si on veut faire quelque chose avec le matériau, on n’essaie pas de dominer le matériau. Le plus difficile à faire en taille de pierre, c’est de dominer le tailleur de pierre, c’est apprendre à se connaître soi-même. Nous sommes très changeants en particulier en matière d’humeur, maîtriser ses pulsions et bien voilà, c’est ça, en permanence. " Travaille comme on prie, sans haine et sans envie ", c’est dans une chanson de tailleur de pierre », nous dévoile encore Serge Luniaud.
Ainsi, arrivé à une certaine maîtrise, le tailleur de pierre gagne toujours sa vie en ciselant la pierre, mais peut-être son noble métier, qui requiert beaucoup de patience et d’humilité, l’aide-t-il à trouver des réponses aux questions fondamentales de l’existence ?
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