L’enlumineur meilleur ouvrier de France Myriam Chessebœuf, exerce un métier oublié : « Je suis hors du temps. Je fais un métier pour lequel je ne devrais pas avoir besoin d’horloge. Un métier pour lequel seule la beauté compte ». Ces explications ne suffisent pas pour présenter un métier mais elles sont indispensables.
« Donc, être enlumineur peut vouloir dire mettre en lumière un texte manuscrit, un texte calligraphié, mais aussi un livre », a-t-elle écrit dans L’art de la calligraphie et de l’enluminure, paru en 2015, aux éditions GID.
C’est dans une charmante cité médiévale, au 23 rue des Puys à Chauvigny, que se situe Le Parchemin du Roy, l’atelier de Myriam Chesseboeuf, enlumineur et calligraphe. C’est après avoir poussé une porte médiévale cloutée, et emprunté un couloir me menant à un superbe escalier de l’époque gothique, que là, au premier étage se situe l’atelier de Myriam. À peine entrée, un univers étonnant et fascinant s’offre à moi. La musique y est particulièrement invitante, les enluminures et les manuscrits exposés présentent couleurs et dorures. Myriam est installée à son bureau.
Tout cela contribue à offrir un environnement à la fois calme, profond, authentique, envoûtant et mystérieux.
Quels sont les évènements marquants qui ont amené Myriam Chessebœuf à ce métier ?
Myriam dessine des mots
« Dès mon plus jeune âge, l’acte d’écrire et de dessiner m’a attirée. J’avais déjà beaucoup de plaisir à m’installer à mon pupitre d’école, et le souvenir de ma maîtresse versant de l’encre dans mon encrier de porcelaine en début de journée, est encore très présent dans ma mémoire. »
« Ces gestes simples voulaient -ils dire que s’installer pour écrire nécessitait une mise en condition matérielle mais aussi spirituelle ? Sans en prendre conscience, ils nous obligeaient à maintenir un plan de travail ordonné, organisé et épuré.
Et je pense que cette démarche va plus loin. En effet, la crainte de semer des gouttes d’encre sur le meuble, sur le livre d’école ou sur le cahier d’exercices nous incitait à apprendre à maîtriser nos gestes et surtout, nos pensées !
Dès l’âge de six ans le système d’éducation nous considérait comme capables d’affronter les matériaux les plus indomptables et avait la certitude que nous étions aptes à conquérir la plume métallique comme la " sergent major ", le porte-plume, l’encre et le papier.
Ainsi les adultes chargés de l’éducation démontraient de la considération envers les enfants et leur offraient l’occasion de développer leurs facultés d’apprentissage de confiance et d’estime de soi », écrit Myriam dans son livre.
Fascinée par la lecture de livres précieux sur l’histoire locale, chez sa grand-mère, Myriam n’a d’autre choix que de se faire copiste, car ces livres sont trop précieux pour être empruntés.
« Cette nature qui m’a formée dans mon enfance et qui m’inspire dans mon travail aujourd’hui ». « Lorsque j’étais enfant, mes grands-parents nous parlaient souvent de recette maison. Des recettes dont la préparation permettait d’utiliser les produits locaux et d’effectuer les travaux de tous les jours », raconte Myriam dans son livre.
Ce sont de nombreux souvenirs de proximité et de complicité avec la nature, où la transmission de savoir-faire ancestral est omniprésente au quotidien.
Formation au Québec
Tout d’abord, c’est au Québec que Myriam va pleinement vivre sa passion et se former à l’enluminure. Et, dans ce cadre de vie exceptionnel au contact du froid, de la neige et des grands espaces, dans cette démesure, cette vastitude comme elle aime à l’appeler, elle va vivre des expériences marquantes.
Ce sont ces événements qui vont lui permettre de se révéler pleinement à elle-même, et lui permettre de faire connaissance avec qui elle est véritablement. Ces expériences furent essentielles et salvatrices dans sa construction personnelle et celle de son art.
Un concours déterminant
À son retour en France en 2017 après 17 ans d’expérience, Myriam s’inscrit au concours d’un des Meilleurs Ouvriers de France. Ce fût pour elle un véritable défi.
Afin de lui permettre de se réinstaller professionnellement dans les meilleures conditions en France, elle décide de s’engager dans cette aventure représentant 18 mois de travail pour réaliser son chef-d’œuvre ainsi qu’un mémoire de 52 pages qui lui permet d’expliquer en détail sa démarche.
Dans ce processus, Myriam a pu s’appuyer sur la force de sa rigueur et son sens de l’organisation, et, ainsi apporter une grande clarté dans sa démarche.
« Mais pour réaliser ce travail, il ne s’agit pas seulement d’une question de technique ni de savoir poser des couleurs ou bien la feuille d’or.
Quelque chose de beaucoup plus subtil doit se passer, une métamorphose dans mon esprit. A la suite de cette période d’introspection, j’ai constaté que je ne suis pas la même après, qu’avant.
C’est un engagement qui m’a fait passer par beaucoup d’émotions et moments de découragement, mais cependant, les élans de persévérance m’ont transportée dans un monde dans lequel j’ai eu l’impression de retrouver les artistes de l’époque. »
Dans son expérience, Myriam a pu expérimenter la polyvalence professionnelle nécessaire pour réaliser ce document manuscrit intégré dans une reliure. Elle dû être à la fois le chercheur, le maître d’œuvre, le calligraphe, le dessinateur, le doreur tout en maîtrisant l’organisation de toutes les étapes afin d’obtenir le résultat d’une copie conforme la plus proche de l’originale.
« Et c’est cette impression de connexion avec les artistes du XVe siècle et avec leur état d’esprit qui me permirent de réaliser mon chef-d’œuvre. Il m’aura fallu en effet me libérer du monde d’aujourd’hui, pour aller vers quelque chose de plus spirituel, plus vaste, plus profond et authentique. J’ai découvert jusqu’où je pouvais aller et je sais que ce chemin n’est pas terminé », ajoute-t-elle.
« Le titre d’un des Meilleurs Ouvriers de France m’a apporté bien plus que ce que je m’imaginais car il m’a transformé de l’intérieur. »
Matériaux et recettes historiques de l’enlumineur meilleur ouvrier de France
Il va sans dire que dans cette aventure, ses connaissances et son expérience sur l’usage des techniques de cet art ont manifestement joué un rôle indiscutable.
« Les matériaux et recettes historiques que j’utilise sont à la base de cette démarche extraordinaire. Leur authenticité, leur origine naturelle et leur précieuse valeur ne suffisent pas seulement à réussir l’œuvre, mais ils nourrissent aussi mon âme », précise Myriam.
Son regard particulier sur les couleurs lui permet de reconstituer les nuances, c’est un don qu’elle a toujours eu. Elle fabrique ses recettes de couleurs en choisissant ses pigments historiques d’origine principalement naturelle que l’on retrouve dans le règne minéral, végétal ou parfois animal.
« Avant d’utiliser les pigments purs, il est indispensable de comprendre lesquels sont les plus adéquats pour la réalisation d’une enluminure.
Leur préparation doit se faire selon des techniques médiévales qui ont fait leurs preuves. Il en résulte des qualités remarquables à leur conservation, même si elles paraissent paradoxales. Souple au moment de la pose, les couleurs deviendront dures et résistantes après des mois de séchage. Sensibles à l’hygrométrie, elles sauront s’assouplir afin de suivre les mouvements du parchemin. N’oublions pas que celui-ci était destiné à êtrefeuilleté », a écrit Myriam dans son livre.
Puis, elle ajoute : « Connaître les recettes de l’enluminure se mérite, et les comprendre demande des années de patience et de persévérance. Le choix de mes pigments dépasse la notion d’esthétique car ils apportent à mes œuvres un " quelque chose " qui peut provoquer une émotion que de nombreux visiteurs ressentent en franchissant la porte de mon atelier. La puissance des couleurs sur nous n’est que très rarement connue, et pourtant, lorsque l’œil se pose sur une de mes enluminures, certaines personnes ne peuvent retenir une larme exprimant une sensation indéfinissable. »
Comme vous pouvez le comprendre, sa technique n’est que le premier pas vers un outil au service de quelque chose de plus grand ! « Rendre visible l’invisible », cette phrase en dit long sur la profondeur des objectifs qu’elle poursuit au travers de son métier d’art !
Ce dont il est aussi profondément question ici, c’est de l’offrande d’une qualité d’être.
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