Les proverbes, formules langagières concises et porteuses d’une vérité générale font partie intégrante du patrimoine oral et écrit de la langue. Leur fonction éducative suscite encore bien des réflexions. Il semble intéressant de s’interroger sur la sagesse ancestrale des proverbes français.
L’origine des proverbes
Les premières traces de proverbes datent de l’Egypte antique. Le Livre de Maximes de Ptahhotep serait le plus ancien recueil de proverbes connu à ce jour. Il figure sur un papyrus écrit probablement au cours de la XIIe dynastie (1991-1785 av. J.-C.) et conservé à la Bibliothèque nationale de France (BNF). Il s’agit de conseils pratiques et éthiques qu’adresse Ptahhotep, le vizir du roi, à son fils. Selon certaines études, ces écrits seraient liés au Livre des Proverbes, le livre biblique attribué au roi Salomon réputé pour sa grande sagesse.
« Tout au long du Moyen Âge, on maintient en effet cette conviction qu’il faut s’appuyer sur la sagesse des " Anciens ", qu’il faut respecter, conserver et transmettre le savoir ancestral et universel des proverbes. », explique Elizabeth Schulze-Buzacker, de l’université de Montréal (Canada) dans son article publié en 1997 et intitulé : La place du proverbe dans la mentalité médiévale. Cette linguiste, professeure émérite, rappelle que le fondement de la société médiévale repose sur l’éducation morale et sentimentale de l’homme. Le proverbe et ses structures spécifiques se conforment à cette réalité. Cependant l’engouement du Moyen Âge pour les proverbes et leurs vertus pédagogiques s’affaiblit progressivement. Au XVIIe siècle, des écrivains comme Racine et Perrault tournent en ridicule ces formules langagières. Au contraire, La Fontaine a préféré valoriser les proverbes qui constituent souvent la trame de ses fables.
Professeure agrégée de français, et docteure en littérature française, Elodie Pinel, dans une émission de France Télévision consacrée aux proverbes et publiée en 2020 explique que les proverbes se présentent comme des phrases « aussi vieilles que la langue française ». Elle cite le proverbe Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras et sa version originale en ancien français : « Mieuz ain " un tien ″ que dous " tu l’avras " ». Un grand nombre de proverbes connus existent depuis le Moyen Âge en effet. Par exemple « Après la pluie le beau temps » selon le dictionnaire des citations Dicocitations s’écrivait au XIIIe siècle : Après la pluye, le biau tans.
Les structures proverbiales : leur spécificité
Elodie Pinel propose quatre indices permettant d’identifier les structures proverbiales françaises :
- l’usage fréquent du pronom « qui », par exemple : Qui dort dîne ou Qui veut voyager loin ménage sa monture.
- l’absence de déterminants comme dans le proverbe suivant : À bon chat, bon rat. Cette structure proviendrait du Moyen Âge où le déterminant n’était pas toujours exprimé.
- une structure binaire où deux éléments s’opposent. Dans les exemples précédents « chat » s’oppose à « rat » et « dort » s’oppose à « dîne ».
- l’emploi du présent de l’indicatif.
Le présent employé pour ses valeurs de « vérité générale » confirme le caractère intemporel propre au proverbe. La leçon de vie et de bon sens transmise par le proverbe est comme figée dans le temps.
D’autres chercheurs s’accordent à dire que la sagesse ancestrale des proverbes français est transmise grâce à des procédés mnémotechniques tels que les assonances, les allitérations, les répétitions, etc. Dans le proverbe : Petit à petit l’oiseau fait son nid, l’assonance en « i » favorise la mémorisation du message. En outre, la répétition souligne l’importance de la persévérance, qualité qui conduit à la réussite.
Comment décrypter les proverbes français ?
Les proverbes se caractérisent souvent par une formulation et une signification énigmatiques. L’expression Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, citation proverbiale tirée de l’œuvre majeure de Rabelais, Pantagruel, parue en 1532, attire l’attention. Ce proverbe a une structure binaire doublée d’une opposition. Les termes « science » et « conscience » s’opposent, tandis que l’allitération du son « s » permet de mémoriser le message. Selon la citation complète, Gargantua s’adressant à son fils aurait dit : La sagesse ne peut pas entrer dans un esprit méchant, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme. En résumé, la science, ou plutôt la connaissance qui ignore ses limites devient inutile, voire dangereuse. A travers cette pensée, l’écrivain préfigure la bioéthique qui associe connaissances scientifiques et respect des valeurs morales.
Le proverbe Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage constitue l’une des deux morales de la fable de Jean de la Fontaine Le lion et le rat, publié en 1668. Ce proverbe devenu une référence pour illustrer la patience montre que la loi du plus fort n’est pas forcément la meilleure. La patience et l’habileté du rat ont surpassé la force et la rage du lion qui, face aux difficultés a perdu son sang-froid. Pour rendre le message du proverbe plus percutant, l’auteur a recours à des structures binaires mises en opposition. « patience » s’oppose à « longueur de temps » tandis que « force » s’oppose à « rage ». Les traditions occidentales et orientales ont vanté unanimement les vertus de la patience. Avec du temps et de la patience, les feuilles de mûrier se transforment en robe de soie, dit un proverbe chinois ! La science moderne reconnaît désormais le lien entre la patience et le bien-être…
La sagesse ancestrale des proverbes français en prodiguant des leçons de vie n’a pas fini de transmettre les valeurs universelles de l’humanité.
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