Jeanne d’Arc approchait de l’épreuve suprême. Elle eut, dans ses derniers jours, quelques craintes et regrets, des moments d’incompréhension et d’incertitude. Jusqu’à sa mort, elle dut affronter les pièges de ses juges pour la faire abjurer. Elle plia un peu, sous l’effet d’une tromperie. Cependant, sa compassion et sa droiture se révélèrent pleinement sur le bûcher.
Article inspiré du livre de Jules Michelet : Jeanne d’Arc
Les juges avaient tiré, des réponses de Jeanne d’Arc aux interrogatoires, un petit nombre d’articles sur lesquels ils devaient prendre l’avis des principaux docteurs et des corps ecclésiastiques.
Les réponses de Jeanne d’Arc avaient été modifiées dans l’intention de la faire condamner. L’université de Paris, qui était favorable aux Anglais, envoya son avis. La faculté de théologie décida que cette jeune fille était livrée au diable, impie envers ses parents, altérée de sang chrétien. La faculté de droit la déclara punissable, mais elle fut plus prudente en accusations. L’université écrivit aussi au pape, aux cardinaux, au roi d’Angleterre, en louant l’évêque Cauchon et la manière dont il avait mené le procès.
Forts de ces réponses, certains voulurent qu’on brûlât Jeanne d’Arc sans attendre. Mais les Anglais voulaient une rétractation de Jeanne qui puisse porter atteinte et déshonorer le roi Charles VII, toujours dans l’intention d’installer à sa place le roi anglais.
Parodie de condamnation pour obtenir une abjuration de Jeanne d’Arc
Au lendemain de la Pentecôte, le cardinal de Winchester ne pouvait plus rester à Rouen et il fallait en finir. On arrangea une grande scène publique pour effrayer l’accusée ou pour le moins donner le change au peuple. Ce fut au cimetière de Saint-Ouen qu’eût lieu cette terrible comédie.
Le prédicateur du jour donna libre cours à son éloquence et, emporté par son discours, il gâcha tout en traitant, non seulement Jeanne, mais aussi le roi Charles VII d’hérétique et de schismatique. Jeanne d’Arc, oubliant le danger, lui répondit vertement, et bientôt tous entrèrent dans une dispute. Le calme revenu, l’évêque Cauchon se mit à lire l’acte de condamnation, préparé d’avance.
Peu après, comme on lui promettait qu’elle échapperait ainsi aux mains des Anglais et serait remise à l’Église, Jeanne consentit à se soumettre au pape. Alors l’évêque demanda au cardinal ce qu’il fallait faire. « L’admettre à la pénitence », lui répondit le cardinal. Le secrétaire du cardinal de Winchester sortit de sa manche une révocation de six lignes qu’on lui fit signer d’une croix. La sentence était sévère : « Jehanne, nous vous condamnons par grâce et modération à passer le reste de vos jours en prison, au pain de douleur et à l’eau d’angoisse, pour y pleurer vos péchés ».
Malgré tout, Jeanne espérait aller dans une prison de l’Église et ainsi se mettre à l’abri des outrages des Anglais et sauver son honneur. Elle fut désespérée quand elle entendit l’évêque dire froidement : « Menez-là où vous l’avez prise ». Ainsi, Jeanne avait été trompée et elle ne pouvait manquer de revenir sur son consentement à se soumettre au pape.
Cependant, les Anglais, soldats, honnêtes gens ou lords, venus à Saint-Ouen pour voir brûler Jeanne d’Arc, étaient furieux et commencèrent à jeter des pierres sur les échafauds, sans respect pour les juges et les docteurs regroupés là. Nombre d’entre eux sortirent les épées et les menacèrent. Ainsi se termina, dans la violence de certains et la fuite des autres, cette parodie de condamnation visant à faire abjurer Jeanne d’Arc.
La hargne de l’orgueil blessé et les louvoiements d’un homme corrompu
Vêtue maintenant d’un habit de femme dans sa prison, Jeanne d’Arc avait tout à craindre d’hommes blessés dans leur orgueil et furieux qui voulaient la dégrader avant qu’elle périsse. Au dire de son confesseur, elle subit une tentative de viol. L’homme, un lord anglais, n’y parvenant pas, l’avait rouée de coups. Jeanne reprit son habit d’homme quelque temps après, disant à Cauchon et ses assesseurs que cela lui convenait mieux tant qu’elle serait gardée par des hommes.
Au milieu des épées et des soldats en rage, il n’y avait plus de jugement possible et les juges craignaient pour leur vie. Ils dressèrent à la hâte une citation. Jeanne d’Arc ne devait plus comparaître que pour être brûlée.
Le matin, l’évêque Cauchon lui envoya un confesseur « pour lui annoncer sa mort et l’induire à pénitence ». Jeanne s’écria douloureusement : « Hélas ! Me traite-t-on ainsi horriblement et cruellement, qu’il faille que mon corps, net en entier, qui ne fut jamais corrompu, soit aujourd’hui consumé et rendu en cendres ! Ha ! Ha ! J’aimerais mieux être décapitée sept fois que d’être ainsi brûlée !… Oh ! J’en appelle à Dieu, le grand juge, des torts et ingravances qu’on me fait ! »
Jeanne se calma. Elle se confessa et demanda à communier, ce que l’évêque lui accorda et il ajouta qu’on pouvait lui donner « tout ce qu’elle demanderait ». Cela relevait d’une grande incohérence de la part de Cauchon, car venant de la juger hérétique et relapse, il était prêt pourtant à lui donner tout ce que l’Église offre à ses fidèles au moment de la mort. Que signifiaient pour lui les sacrements de l’Église ? Ou bien avait-il déjà des remords quant à son mauvais jugement ?
Dernières espérances avant l’abandon à Dieu
A neuf heures ce 30 mai 1431, Jeanne d’Arc fut revêtue d’habits de femme et monta sur un chariot. Son confesseur et un huissier se tenaient à ses côtés. Le frère Isambart, jusqu’à la fin, ne la quitta plus et l’aida autant qu’il le put. Malgré tout ce que ses voix aient pu lui dire et tout le réconfort qu’elles ont pu lui donner, Jeanne, jusqu’à ces derniers moments, n’eut-elle pas espéré que son roi et le bon peuple de France viennent la délivrer ? Elle avait dit : « Il y aura en prison ou au jugement quelque trouble, par quoi je serai délivrée… délivrée à grande victoire !… ».
Quelles furent les pensées de Jeanne lorsqu’elle vit qu’elle allait réellement être brûlée ? En allant sur le chariot vers le bûcher, elle pleurait et se lamentait, mais n’accusait ni le roi, ni les saints du Ciel. Elle répétait : « Ô Rouen, Rouen ! Dois-je donc mourir ici ? ».
La charrette arriva sur la place du Vieux-Marché. Trois échafauds étaient dressés. L’un pour le cardinal d’Angleterre et ses prélats, l’autre pour le prédicateur, le bailli, les juges et la condamnée. Le bûcher était monté sur un grand et haut échafaud de plâtre, pour la solennité de l’exécution et pour qu’elle puisse être vue de toute la place. C’était aussi dans l’intention que le bourreau ne puisse atteindre que le bas du bûcher et ne puisse abréger les souffrances de Jeanne d’Arc, comme il le faisait pour les autres. Ainsi, peut-être lui échapperait-il un désaveu ou des paroles confuses qu’il serait aisé de transformer…
Il y eut un sermon, quelques paroles de l’évêque. Sans attendre qu’on l’exhorte à la contrition, Jeanne s’était déjà mise à genoux. Elle pardonna à tous et demanda pardon. Elle disait : « Priez pour moi ! » Elle était si humble et touchante, que personne ne put se contenir. L’évêque de Beauvais se mit à pleurer, puis celui de Boulogne, les Anglais eux-mêmes ne purent se retenir, même le cardinal de Winchester pleurait.
Puis les juges se reprirent et retrouvèrent leur contenance. L’évêque Cauchon lut à nouveau la condamnation, lui remémorant ses « crimes » : schisme et relapse, idolâtrie, invocation de démons. Abandonnée par l’Église, Jeanne se confia totalement à Dieu. Elle demanda une croix d’église et on lui en apporta une de la paroisse voisine qu’elle embrassa.
Le bûcher où la compassion, la droiture et la sainteté de Jeanne se manifestèrent
Les Anglais commençaient à trouver le temps long. Ils n’attendirent pas l’ordre du bailli et firent monter deux sergents pour enlever Jeanne des mains des prêtres. Les gens d’armes la traînèrent jusqu’au bourreau en lui disant : « Fais ton office… »
Quand elle fut tout en haut du bûcher, voyant la grande ville et la foule silencieuse, elle s’écria : « Ah ! Rouen, Rouen, j’ai grand peur que tu n’aies à souffrir de ma mort ! » Elle avait sauvé le peuple et le peuple l’abandonnait, pourtant elle n’avait, même aussi près d’être brûlée, que de la compassion pour lui.
Elle fut attachée et le bourreau mit le feu. Le frère dominicain qui la soutenait et l’encourageait était encore près d’elle sans faire attention au feu. Elle craignait pour lui et le fit descendre.
Jeanne d’Arc n’avait rien renié de ce qu’elle avait fait et n’avait trahi personne, alors l’évêque Cauchon vint au pied du bûcher pour tenter encore de lui soutirer quelques paroles de regret ou d’amertume. On espérait encore qu’elle parlerait contre le roi de France, mais elle le défendit : « Que j’aie bien fait, que j’aie mal fait, mon roi n’y est pour rien ; ce n’est pas lui qui m’a conseillée ».
Les flammes commencèrent à brûler Jeanne. Dans un cri, elle demanda de l’eau. Se ressaisissant, endurant et sublimant la douleur, elle ne mentionna plus que Dieu, ses anges et ses saintes : « Oui, mes voix étaient de Dieu, mes voix ne m’ont pas trompées !… » La confusion et le doute avaient cessé dans les flammes.
Les dernières paroles de Jeanne d’Arc furent certifiées par le dominicain qui monta avec elle sur le bûcher, qu’elle fit redescendre, mais qui resta en bas, lui tenant la croix, l’écoutant et lui parlant. Le frère augustin Isambart, qui avait été en danger de mort pendant le procès, pour avoir conseillé Jeanne, les entendit également : « Nous l’entendions, dans le feu, invoquer ses Saintes, son archange ; elle répétait le nom du Sauveur… Enfin, laissant tomber sa tête, elle poussa un grand cri : " Jésus ! " »
Beaucoup de gens pleuraient dans le public, même les Anglais. Certains virent dans les flammes le nom « Jésus » que Jeanne, à l’agonie, dit à plusieurs reprises. Cependant, quelques Anglais s’efforçaient à rire et un autre, comme il s’était juré de le faire, mit lui-même un fagot sur le bûcher. À ce moment-là, Jeanne expirait. L’homme fut sidéré et se trouva mal, il balbutia : « J’ai vu, j’ai vu, de sa bouche, avec le dernier soupir, s’envoler une colombe ».
Revenant de la place du Vieux-Marché, un secrétaire du roi d’Angleterre s’exclama : « Nous sommes perdus, nous avons brûlé une sainte ! »
Le procès de réhabilitation de Jeanne d’Arc
Il y eut, 25 ans après sa condamnation et son exécution à Rouen, un nouveau procès ecclésiastique, où beaucoup de témoins furent entendus. Il fut initié par la mère de Jeanne, Isabelle Romée, et par ses frères, Pierre et Jean, qui en appelèrent au pape Calixte III. Ce procès aboutit, le 7 juillet 1456, à casser le premier jugement pour « corruption, dol, calomnie, fraude et malice » et proclama la totale réhabilitation de Jeanne d’Arc.
Ce procès de réhabilitation fut fortement appuyé par le roi Charles VII, qui ne pouvait pas laisser plus longtemps détruire la gloire et le rayonnement de Jeanne d’Arc en France et dans le cœur des Français, et remettre en cause la validité de son sacre à Reims comme véritable roi de France.
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