Naviguer sur les réseaux sociaux est comme nager dans un étang rempli d’hameçons. Peu importe où vous cliquez, il est fort probable que le contenu soit précédé d’un certain type de publicité destiné à attirer votre attention. Une étude révèle les conséquences d’une telle manipulation sur notre pouvoir de concentration.
Notre attention est devenue un atout précieux que les entreprises technologiques modernes cherchent à s’approprier en adaptant constamment leurs stratégies pour prolonger la durée de ce qu’elles appellent « l’engagement des utilisateurs ».
Souffrez-vous d’un manque de concentration ? Pourquoi est-il devenu si difficile de concentrer notre attention ? Une expérience réalisée par Microsoft a estimé qu’entre 2000 et 2016, notre durée d’attention moyenne est passée de vingt secondes à huit secondes. Cette forte diminution, se situant en dessous de la durée d’attention de neuf secondes pour un poisson rouge, a provoqué un émoi important dans le monde. L’évolution de l’Internet mobile et du flux des médias est considérée comme la cause première du problème.
Bien que cette expérience n’ait pas été entièrement validée par le monde scientifique, notre expérience personnelle peut être liée à un environnement « multitâche » croissant. La grande disponibilité d’informations et de ressources en ligne, ajoutée à la commodité d’accéder au réseau via nos appareils mobiles, a entraîné l’adaptation de nos cerveaux pour filtrer les données à une vitesse plus élevée, souvent au détriment de la qualité.
Lorsque nous naviguons sur le Web, nos yeux ont tendance à chercher des réponses immédiates. Si le titre et les premières lignes du site Web ne contiennent pas les informations que nous recherchons, des milliers d’autres pages peuvent satisfaire notre recherche, nous épargnant ainsi l’effort de lire davantage. Notre comportement sur les plateformes vidéo est identique, avec des stimuli visuels et sonores qui entrent en jeu. Si les premières secondes d’une vidéo ne parviennent pas à retenir notre attention, des quantités d’autres vidéos sont susceptibles de satisfaire nos envies de divertissement.
Cette attention dispersée, en particulier chez les jeunes générations, a contraint le secteur des entreprises à s’adapter. Afin de faire connaître leurs produits ou services, les entreprises sont entrées dans la « course à l’attention », où la publicité via les médias sociaux est devenue leur principal outil de marché. En 2020, les entreprises ont investi environ 132 milliards de dollars pour de la publicité sur les médias sociaux. Ce montant devrait dépasser la barre des 200 milliards de dollars d’ici 2024.
Cette tendance du marché se manifeste dans les publicités « pré-roll », sur YouTube, que vous pouvez ignorer après cinq secondes, dans les publicités pop-in qui nous empêchent de lire confortablement le contenu d’un site Web, ainsi que par le biais d’un outil plus subtil : l’utilisation de « Cookies ». « Lorsque nous acceptons les cookies, nous autorisons ses identifiants à collecter des informations telles que les pages que nous visitons, nos informations de connexion, les informations de profil, les achats que nous effectuons et ce que nous lisons ». Ces données peuvent être fournies aux entreprises technologiques, aux annonceurs ou aux entreprises de médias pour mettre en œuvre ce qu’ils appellent la « publicité ciblée ». Bien que la plupart de ces informations ne soient pas personnellement identifiables, certaines d’entre elles peuvent l’être.
Avec une publicité sur les réseaux sociaux conçue pour être plus attrayante et personnalisée pour chaque consommateur, les probabilités que notre attention soit retenue augmentent considérablement. Cette situation apparaît particulièrement préoccupante au sein de la « génération numérique ». Ces personnes, qui ont grandi à l’ère informatique, sont capables d’absorber rapidement et facilement des informations numériques via divers appareils et plates-formes.
Parce que cette facilité d’accès signifie généralement que leurs propres informations sont également facilement accessibles, le pouvoir de concentration est particulièrement menacé chez les jeunes générations. L’étude exhaustive sur la façon d’attirer l’attention des consommateurs pour influencer leur prise de décision, intitulée « Attention Engineering », concerne cependant tous les utilisateurs d’Internet.
Le choc évident entre la génération numérique et les générations qui l’ont précédée soulève un problème majeur : la dépendance croissante des gens à Internet due au syndrome de « FOBO » (Fear Of Beeing Offline) ou peur d’être déconnecté. En réponse à cette situation, notre société a vu la montée en puissance de plusieurs mouvements visant à récupérer notre attention « détournée ».
Retrouver sa concentration dans un monde distrait
Un exemple bien connu de ce concept se trouve dans le livre Deep Work : Rules for Focused Success in a Distracted World de Cal Newport. Cet auteur américain, professeur agrégé d’informatique, invite à limiter l’utilisation d’internet et à cultiver la capacité de se concentrer sans distraction sur une tâche exigeante sur le plan cognitif. Il présente à ses lecteurs un programme d’entraînement rigoureux sous la forme de « règles » visant à transformer l’esprit et les habitudes pour soutenir cette compétence. Il suggère que les professionnels les plus sérieux devraient abandonner les réseaux sociaux et que les gens devraient s’entraîner à s’ennuyer.
Bien que cette perspective ait été bien accueillie par le public, certains rétorquent que cela va à l’extrême et qu’un régime de productivité aussi strict limite la spontanéité et la créativité. James Williams, ancien ingénieur chez Google, a fait remarquer que « l’abandon individuel n’est pas la solution, pour la même raison que le port d’un masque deux jours par semaine à l’extérieur n’est pas la réponse à la pollution. Cela pourrait, pendant une courte période, maintenir certains effets à distance, mais ce n’est pas durable et cela ne résout pas les problèmes systémiques. » Analyser les choses avec lucidité peut nous conduire à une perspective plus large.
L’économie de marché a pour vocation d’être à l’écoute des consommateurs pour répondre à leurs besoins en biens et en services. Avec le développement du marketing et d’Internet, la manière dont les entreprises influencent les habitudes d’achat du public a également radicalement changé. Elle est passée de la publicité explicite comme les journaux, la télévision et la radio, aux messages implicites tels que les publicités contextuelles via la collecte de données utilisateur (cookies).
Il est aisé de comprendre qu’un individu se sente lésé lorsque ses données sont traitées par un tiers dans un but lucratif. Le fait de contrôler et d’influencer les consommateurs sans qu’ils en soient conscients illustre de façon évidente la perte des valeurs morales dans notre société actuelle qui accorde la priorité à l’argent et au profit plutôt qu’à la transparence et à l’éthique.
En analysant les causes de cette perte d’attention et de concentration, nous constatons que ce phénomène se situe au-delà du plan économique. Il s’ensuit qu’en ajustant nos propres habitudes et en comprenant mieux notre rôle dans la société, nous pourrons peut-être promouvoir les changements environnementaux qui feront vraiment la différence.
Rédacteur Fetty Adler
Collaboration Jo Ann
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