Les prix Nobel comptent sans doute parmi les récompenses les plus célèbres et les plus prestigieuses au monde, mais que savons-nous vraiment d’Alfred Nobel, l’homme qui les a créées ?
Comme je l’explique dans mes conférences sur Alfred Nobel (1833 – 1896), l’inventeur et entrepreneur a laissé un héritage durable avec les prix annuels qu’il a créés en 1901 pour la physique, la chimie, la physiologie ou la médecine, la littérature et la paix : le prix Nobel pour les sciences économiques étant apparu bien plus tard, en 1968.
Mais avant d’accéder à la gloire, Alfred Nobel a connu bien des déboires
Selon la biographie d’Ingrid Carlberg, Alfred Nobel a eu une enfance difficile à Stockholm. Non seulement il était pauvre, mais le garçon qui allait devenir un scientifique estimé :détenant 355 brevets déposés de son vivant, a été placé dans une classe pour enfants ayant des difficultés d’apprentissage à l’école. Cependant, l’innovation coulait dans le sang des Nobel : le père d’Alfred, Immanuel, était lui aussi un inventeur, bien qu’il ait rencontré moins de succès que son fils.
Parmi les premières créations d’Immanuel Nobel, figure un sac à dos en caoutchouc malodorant qui pouvait également servir de dispositif flottant pour les soldats qui doivent traverser une rivière – et de coussin sur lequel on pouvait s’asseoir confortablement. Mais Immanuel Nobel a accumulé d’énormes dettes avec ses inventions, et il a dû fuir ses créanciers pour se réfugier à Saint-Pétersbourg, en Russie, un endroit qui jouera un rôle important dans la vie de son fils Alfred.
La situation d’Alfred Nobel s’est améliorée lorsque la famille Nobel a déménagé en Russie, où il a commencé à travailler sur le développement d’explosifs.
Des centres d’intérêt explosifs
Malheureusement, en Russie, Immanuel est à nouveau acculé à la faillite et retourne en Suède. Alfred et son père, ainsi qu’Emile, le plus jeune fils de la famille Nobel, expérimentent alors avec la nitroglycérine à Stockholm.
Les résultats de ces expériences ont apporté des contributions capitales à l’industrialisation et à la médecine. Cependant, de nombreux événements tragiques se sont produits avant qu’Alfred Nobel ne trouve un moyen de rendre l’utilisation de la nitroglycérine plus sûre en inventant la dynamite en 1867.
En 1864, le jeune frère d’Alfred, Emil, a été tué dans une explosion de nitroglycérine dans le laboratoire familial près de Stockholm – après quoi la fabrication de nitroglycérine a été interdite dans la ville.
Mais cette tragédie familiale n’a pas détourné Alfred Nobel de son objectif. Il a continué à fabriquer des explosifs – désormais à l’échelle industrielle – dans une usine à Vinterviken, en Suède. Cette usine a été détruite à plusieurs reprises lors d’accidents causés par l’instabilité de la nitroglycérine, tuant de nombreux ouvriers.
Bien que l’usine d’Alfred Nobel ait sans aucun doute été un lieu de travail dangereux, les recherches qui y ont été menées ont contribué à découvrir les avantages de la nitroglycérine en tant que médicament cardiaque.
Malheureusement, les ouvriers de l’usine ont vu leur santé altérée suite à l’exposition à la nitroglycérine. Ce produit chimique a des effets physiologiques importants en tant que vasodilatateur : il dilate les vaisseaux sanguins et augmente le flux sanguin et l’apport d’oxygène vers le cœur.
En 1998, le prix Nobel de physiologie ou de médecine 1998 a été décerné conjointement à Robert F. Furchgott, Louis J. Ignarro et Ferid Murad « pour leurs découvertes concernant l’oxyde nitrique en tant que molécule de signalisation dans le système cardiovasculaire ». Cela a peut-être surpris Alfred Nobel,
qui aurait refusé de prendre de la nitroglycérine lorsque les médecins lui en prescrivaient pour ses crises d’angine de poitrine.
Les travaux de Nobel lui ont valu un prix de chimie et de physique, mais le fait qu’il ait obtenu le prix de la paix est plus surprenant, compte tenu de la contribution significative d’Alfred Nobel au développement d’armes de guerre.
L’une des plus proches amies de Nobel était la pacifiste Bertha von Suttner, autrice du roman anti-guerre à succès Déposez les armes. On pense qu’elle voulait qu’Alfred Nobel fasse don de son argent au mouvement pacifiste, mais qu’Alfred Nobel a préféré financer un prix. En 1905, Bertha von Suttner est devenue la première femme à recevoir le prix Nobel de la paix et la deuxième femme lauréate du prix Nobel, après Marie Curie.
Des prix controversés
Plusieurs aspects des prix Nobel ont été très controversés.
Le fait que des femmes puissent recevoir des prix a été considéré comme une folie, sans parler du fait que le prix Nobel de la paix serait remis par un comité en Norvège. Mais pour Alfred, il était évident qu’un des prix devait être remis à Oslo. Au moment de la mort d’Alfred Nobel, la Suède et la Norvège formaient une union, et Alfred Nobel passait beaucoup de temps avec ses amis à l’Association suédo-norvégienne de Paris.
Les Suédois étaient aussi contrariés par le fait que les prix pouvaient être décernés à l’international. Au XIXe siècle, la plupart des prix étaient nationaux, mais Alfred Nobel était un internationaliste. Il a passé son enfance en Suède, ses années de formation en Russie, la plus grande partie de sa vie en France et avait une maison de vacances à San Remo, Italie. Les autorités de San Remo continuent d’ailleurs d’envoyer des fleurs pour décorer la cérémonie annuelle de remise du prix Nobel et le banquet qui a lieu chaque année à Stockholm.
Cependant, l’attaque la plus féroce contre les prix Nobel n’est pas venue des nationalistes suédois, mais de la propre famille de Nobel qui s’est vue privée de son héritage après la mort d’Alfred Nobel. La famille a constaté qu’il existait plusieurs testaments, et qu’elle recevait de moins en moins d’argent à chaque testament, jusqu’à la version finale, qui léguait la part la plus élevée de l’héritage aux prix.
On ne saurait surestimer l’importance de l’assistant et exécuteur testamentaire d’Alfred Nobel, Ragnar Sohlman, qui a exercé un lobbying intense en faveur des prix.
En fin de compte, les tribunaux français et suédois se sont affrontés. C’est à ce moment-là que les Suédois ont réussi leur coup de maître, en suggérant que le testament soit réglé par un petit tribunal à Karlskoga, une ville mineure au milieu de la Suède où Alfred Nobel avait sa résidence à la fin de sa vie – et où, surtout, il gardait ses chevaux.
En fin de compte, il a été décidé que si un homme a ses chevaux quelque part, c’est l’endroit d’où il vient. C’est ainsi que le petit tribunal de Karlskoga, en Suède, a été choisi pour interpréter le testament d’Alfred Nobel, et que les prix Nobel ont vu le jour.
Rédacteur Charlotte Clémence
Auteur
Jonas F. Ludvigsson : Professor, Dept of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons
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