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Homme. Ces citoyens qui mesurent la radioactivité de leur environnement

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Après Tchernobyl et Fukushima, les mesures citoyennes de la radioactivité ont pris leur essor, pour permettre aux populations d’évaluer leurs propres risques, et pour éventuellement fournir des données en temps réel dans les situations d’accident nucléaire ou radiologique. En France, le projet de sciences participatives OpenRadiation a, lui, permis quelque 850 000 mesures citoyennes en huit ans d’existence, et se développe essentiellement à des fins pédagogiques.

Voilà maintenant huit ans que des personnes de tous âges et de toute profession ont commencé à mesurer eux-mêmes la radioactivité dans leur environnement. Ils utilisent pour cela un outil de sciences participatives, nommé OpenRadiation, utilisable par tout un chacun, sans compétences particulières. Mais pourquoi avoir lancé un tel projet ? Comment est construit le système OpenRadiation ? Quels sont les buts de ces mesures de radioactivité ? Retour sur un projet qui mêle transparence, pédagogie et éducation.

La radioactivité est présente partout dans notre environnement, qu’elle soit naturelle ou d’origine humaine. En France, la radioactivité dans l’environnement est très surveillée avec plus de 300 000 mesures par an dans tous les compartiments de l’environnement : Eau, air, sols, végétaux et animaux, réalisées par les exploitants d’installation nucléaires, par l’autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection et par des associations. Cette surveillance est réalisée à l’aide de différents appareils, généralement complexes et coûteux, et donc peu accessibles aux citoyens. Bien que tous les résultats soient rendus accessibles à tout le monde, en particulier au travers du site du réseau national de mesures de la radioactivité, certaines personnes peuvent souhaiter réaliser des mesures par elles-mêmes.

Après Tchernobyl et Fukushima, l’essor des mesures citoyennes de la radioactivité

Les premières actions de mesure citoyenne de la radioactivité ont été réalisées au milieu des années 90 dans le cadre des programmes de recherche européens développés en Biélorussie, à la suite de l’accident de Tchernobyl. L’objectif était alors de permettre aux habitants de s’approprier les enjeux de radioprotection, c’est-à-dire la compréhension et le choix des actions qui permettent à chacun de se protéger des effets de la radioactivité dans une situation post-accidentelle où la radioactivité est présente partout dans l’environnement.

La perte de confiance de la population japonaise dans le discours des autorités à la suite de l’accident de Fukushima en 2011 a également accéléré le développement de la mesure citoyenne de la radioactivité. De nombreuses associations locales ont développé, avec l’aide d’universitaires, des détecteurs de radioactivité permettant de réaliser des mesures et le partage des résultats via des sites Internet de cartographie, par exemple le projet Safecast.

Ces mesures de radioactivité dans l’environnement par les citoyens présentent deux avantages. D’une part, elles permettent à chacun d’évaluer ses propres risques et de ce fait retrouver une certaine confiance dans les conditions de vie quotidienne. D’autre part, elles peuvent fournir des données en temps réel dans les situations d’accident nucléaire ou radiologique.

Le Projet OpenRadiation

L’idée du projet OpenRadiation a vu le jour en France en 2013, soit deux ans après l’accident de Fukushima, en tenant compte du retour d’expérience de cet accident qui a démontré l’importance de la mesure citoyenne pour l’accompagnement de la population. Ce projet permet également d’accompagner la demande de personnes souhaitant s’investir dans la mesure de radioactivité ambiante, en particulier les habitants des environs des installations nucléaires.

Un consortium a été créé, afin de réunir les compétences nécessaires en mesure des rayonnements ionisants (l’institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)), en design et création d’objets connectés (Le Fablab de Sorbonne Universités), en éducation aux sciences (Planète Sciences) et aux risques (L’Institut de formation aux risques majeurs (l’IFFORME)). L’Association nationale des comités et commissions locales d’information (l’ANCCLI), qui regroupe les commissions locales d’information existant autour de toutes les installations nucléaires françaises, a ensuite rejoint le consortium en 2019.

Ce consortium a développé les trois composants du système OpenRadiation

  • Un détecteur de radioactivité. Il doit être compact, facilement utilisable, et donner des résultats de mesure fiables. La technologie retenue est celle d’un tube à gaz (un tube Geiger-Müller dont le principe a été inventé en 1913 et mis au point en 1928), robuste et fiable. Cependant, la technologie développée ne permet de mesurer que les rayonnements gamma et X. Le détecteur ne permet donc pas de mesurer directement des éléments radioactifs comme le radon ou l’uranium. Ces détecteurs sont disponibles à l’achat ou au prêt en nous contactant par mail à l’adresse openradiation@gmail.com.
  • Une application pour smartphone, qui va permettre de piloter le détecteur par liaison Bluetooth et de publier les résultats de mesure sur un site Internet. Cette application permet d’utiliser certaines fonctionnalités du téléphone, comme la localisation GPS, la date et l’heure, afin de compléter les métadonnées associées à chaque mesure sans pour autant complexifier le détecteur.
  • Un site Internet (openradiation.org) avec une carte interactive, qui va permettre la publication des résultats de mesure et les métadonnées associées. Le site Internet permet également les échanges entre contributeurs, le dépôt de commentaires sur les mesures, la publication d’informations (liste des détecteurs compatibles, mode d’emploi, méthodes de réalisation des mesures de radioactivité, mais aussi ce que les détecteurs ne peuvent pas mesurer) et le suivi de projets spécifiques.

Un projet en open source

Après une période de réflexion et de tests, le projet OpenRadiation a vu officiellement le jour en 2017. L’ensemble du système OpenRadiation est volontairement en open source (sous licence CC By 4.0) ce qui signifie que toute personne peut obtenir les codes sources des applications, du site et de la carte interactive et les utiliser pour ses propres besoins. Ainsi, certains contributeurs ont pu modifier l’application sur smartphone pour créer des balises fixes de mesure de la radioactivité avec un envoi automatique des résultats de mesure sur la carte OpenRadiation.

De même, l’ensemble des résultats de mesure est en open data, ce qui signifie que tout ou partie de la base de données peut être téléchargée et analysée par toute personne qui le souhaite. Ainsi, une étude a été menée en Biélorussie, dans un village à proximité de la zone interdite en utilisant OpenRadiation. Des détecteurs ont été confiés à un groupe de 17 lycéens afin qu’ils puissent mesurer la radioactivité dans leur environnement, avec une grande liberté d’action.

Ils ont ainsi réalisé plus de 650 mesures en un mois, essentiellement dans leur village de Komaryn et aux environs. Les résultats ont permis de montrer que les niveaux d’exposition aux rayonnements ionisants sont en moyenne comparables à ceux observés dans d’autres parties du monde, mais qu’il existe des « points chauds », c’est-à-dire des lieux où la radioactivité a tendance à se concentrer. Il s’agit en particulier des lieux où du bois a été brûlé, la cendre ayant la propriété de concentrer la radioactivité contenue dans le bois.

Ces citoyens qui mesurent la radioactivité de leur environnement
En France, la radioactivité dans l’environnement est très surveillée avec plus de 300 000 mesures par an dans tous les compartiments de l’environnement : eau air, sols, végétaux et animaux. (Image : Capture d’écran / YouTube)

Comment garantir la fiabilité des résultats 

La question de la fiabilité des résultats de mesure publiés est souvent posée. La réponse à cette interrogation couvre deux aspects différents, la fiabilité technique du résultat de mesure d’une part et la publication de résultats plus élevés qu’attendus d’autre part.

La fiabilité technique des détecteurs a été testée en laboratoire en utilisant des sources radioactives de calibration. Des tests sur le terrain ont également permis de comparer les résultats du détecteur OpenRadiation avec ceux de détecteurs professionnels. Ce type de comparaison a été réalisée à plusieurs occasions et a montré que les résultats obtenus avec les détecteurs OpenRadiation sont satisfaisants, dans des conditions de mesure variées.

Ensuite, la publication sur le site OpenRadiation de résultats montrant une radioactivité élevée peut avoir différentes origines. Les cas les plus courants sont liés à un niveau de charge insuffisant de la batterie (ce qui peut produire des résultats incohérents), à la présence de radioactivité naturelle plus importante qu’attendue ou à des mesures au contact d’objets ou de matériaux radioactifs.

Ainsi, des personnes ont mesuré des objets radioactifs tels que des vieux réveils Bayer avec une peinture fluorescente au radium, des objets en verre contenant de l’ouraline, ou des minéraux naturellement fortement radioactifs. Il peut également s’agir de mesures à proximité d’un transport de matière radioactive ou encore de patients traités en médecine nucléaire.

Il est également possible de découvrir un véritable « point chaud », comme une résurgence de roche radioactive, la présence de sables radioactifs naturels ou encore l’utilisation de certains matériaux de construction contenant certaines roches particulièrement radioactives.

Dans l’environnement, les débits de dose mesurés sont connus pour varier de façon importante en fonction de la localisation et peuvent atteindre des valeurs très élevées. Sur la carte OpenRadiation, on peut observer ces différences. Ainsi, quelques mesures faites en Iran au bord de la mer Caspienne, dans le Kerala en Inde, ou encore en Bretagne sur la côte de granit rose sont significativement plus élevées que celles faites en région parisienne.

En altitude, l’exposition est plus importante car la diminution de l’épaisseur d’atmosphère réduit la protection contre le rayonnement cosmique.

La publication des résultats de mesure sur le site OpenRadiation nécessite donc d’être explicité. Le principe retenu tient en deux points :

Toute mesure envoyée sur le site est publiée en totale transparence sans étape de validation ou censure et sans possibilité de la retirer. Ce point est essentiel pour conserver la confiance des contributeurs, mais aussi pour détecter d’éventuelles situations où la radioactivité est particulièrement élevée, quelle qu’en soit la raison et permettre une éventuelle intervention pour sécuriser un site.

Ces citoyens qui mesurent la radioactivité de leur environnement
Toute mesure dépassant un seuil d’alerte (correspondant à environ 4 fois la valeur du « bruit de fond radiologique » en France) fait l’objet d’une étude. (Image : Capture d’écran / YouTube)

Par conséquent, toute mesure dépassant un seuil d’alerte (correspondant à environ 4 fois la valeur du « bruit de fond radiologique » en France) fait l’objet d’une étude. À chaque fois qu’un résultat publié dépasse ce seuil, un contact est pris avec le contributeur, afin d’échanger avec lui sur les conditions de la mesure et trouver d’un commun accord une explication plausible. Un commentaire est alors déposé sur le site pour expliquer le résultat de la mesure. Environ 1,25 % des mesures publiées sur le site dépassent le seuil d’alerte. Dans la très grande majorité des cas, une explication est trouvée, moins de 0.02 % des mesures publiées sur le site OpenRadiation ne trouvent pas d’explication immédiate.

À l’exception de quelques sites, et en moyenne, les niveaux de radioactivité en France sont considérés comme bas, même et y compris à proximité des installations nucléaires. C’est la raison pour laquelle OpenRadiation reste avant tout un outil pédagogique pour comprendre ce qu’est la radioactivité. Il est actuellement utilisé dans une vingtaine de lycées et collèges, en lien avec les programmes scolaires. OpenRadiation est également adopté pour faire de la médiation scientifique et de l’éducation au risque nucléaire, par exemple à l’occasion de la fête de la science ou de la journée nationale de la résilience.

Ces citoyens qui mesurent la radioactivité de leur environnement
Journée de la communauté OpenRadiation 2023 organisée au Fablab de Sorbonne Université. (Image : Capture d’écran / YouTube)

Au 1er janvier 2025, OpenRadiation réunissait 327 contributeurs actifs et plus de 800 personnes qui nous suivent. La majorité des contributeurs se trouvent en France et en Europe, mais on en voit aussi dans de nombreux pays autour du monde (Japon, États-Unis, Afrique du sud). La carte et la base de données comportent, à la date de la publication de cet article, plus de 850 000 résultats de mesure sur les cinq continents, y compris en Antarctique, même si la majorité des mesures ont été réalisées en Europe. Les quelques études réalisées avec OpenRadiation ont montré la puissance de cet outil, tant pour la réassurance des personnes vivant dans des environnements contaminés que pour réaliser des études en surveillance de l’environnement, ou encore des recherches dans le domaine des sciences humaines et sociales, pour étudier leurs motivations ou la façon dont les contributeurs s’organisent pour réaliser leurs mesures.

OpenRadiation pourrait aussi trouver à l’avenir des applications nouvelles dans différentes situations. Par exemple, il est possible d’impliquer les citoyens dans la réalisation d’un « point zéro » de la qualité radiologique de l’environnement avant la construction d’une nouvelle installation nucléaire. De même, il peut être intéressant d’impliquer des citoyens pour l’étude des environs d’un site contaminé par d’anciennes activités nucléaires (ancien site minier par exemple), pour susciter un dialogue. Au-delà de la mise à disposition des détecteurs à des citoyens et des utilisations pédagogiques, l’objectif actuel d’OpenRadiation est de développer l’utilisation de cet outil au service des études et recherches de toute nature, dans une démarche de sciences participatives impliquant autant que possible les citoyens intéressés par la notion de radioactivité.

Evelyne Allain (Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l’environnement), Ghislain Darley (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection), Christine Lajouanine (Planète Sciences), Véronique Lejeune (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection), Yves Lheureux (Association nationale des comités et commissions locales d’information), Renaud Martin (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection), Marjolaine Mansion (Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l’environnement), Alexia Maximin (Planète Sciences), François Trompier (Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection) ont participé à la rédaction de cet article

Rédacteur Fetty Adler
Collaborateur Jo Ann

Auteur
Christian Simon, Maitre de conférences, HDR, Sorbonne Université
Contributeur
Jean-Marc Bertho, Expert en radioprotection, ASNR
Republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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