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Homme. L’histoire du Dr Jiang Yanyong, le lanceur d’alerte du SRAS

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Jiang Yanyong (1931 – 2023) était un chirurgien semi-retraité de l’Armée populaire de libération qui est brièvement devenu le prisonnier politique le plus célèbre de Chine. Connu en tant que lanceur d’alerte pour le SRAS en 2003, il s’était aussi impliqué dans l’appel à la rectification du mouvement étudiant de 1989. Il avait en outre révélé les sombres secrets du prélèvement d’organes dans les hôpitaux militaires.

L’histoire du Dr Jiang Yanyong, le lanceur d’alerte du SRAS
En 2003, l’épidémie de SRAS s’est déclarée pour la première fois dans le Guangdong, en Chine. (Image : Capture d’écran / wydarzenia.interia.pl)

Début de la vie et de la carrière

Jiang Yanyong est né en 1931. Il entre à l’université de médecine de Pékin en 1952, s’engage dans l’armée en 1954 et travaille à l’hôpital 301. Pendant la Révolution culturelle, en raison du statut de banquier de son père et de la présence de parents à Taïwan, il est considéré comme « contre-révolutionnaire ». Il est alors emprisonné pendant deux ans, avant d’être envoyé dans un camp de travail à Qinghai. En 1972, Jiang Yanyong retourne travailler à l’hôpital 301, où il devient directeur du service de chirurgie générale.

Au cours de sa carrière, son éthique médicale a été largement saluée. Ainsi,en 1991, un article paru dans le Beijing Review l’a qualifié de « médecin honnête ». Après avoir pris sa retraite, Jiang Yanyong a été réengagé en tant que membre du groupe d’experts. En 1997, il avait écrit dans l’Histoire de l’université de Yenching, à l’occasion du 80ème anniversaire de son Alma mater : « Je comprends parfaitement qu’il est extrêmement difficile de dire la vérité et de parler avec son cœur. Mais je dois insister pour dire la vérité. Il est plus facile de dire des mensonges et des paroles creuses, mais je ne le ferai jamais ».

L’épidémie de SRAS en Chine

En 2003, l’épidémie de SRAS s’est déclarée pour la première fois dans le Guangdong, en Chine. Le 3 avril 2003, lors d’une conférence de presse organisée par le bureau d’information du Conseil d’État, le ministre chinois de la Santé, Zhang Wenkang, avait assuré aux médias que « Pékin ne comptait que 12 cas de SRAS, dont trois décès. L’épidémie de SRAS en Chine a été efficacement contrôlée ». « Tout le monde est invité à se rendre en Chine et à y faire des affaires. Je garantis votre sécurité, que vous portiez un masque ou non », avait-il ajouté.

Jiang Yanyong, médecin militaire à l’hôpital 301, avait immédiatement estimé que « les chiffres fournis par Zhang Wenkang étaient loin de la vérité ». Le soir du 4 avril, il a écrit ce qu’il savait et l’a envoyé à CCTV4 et Phoenix TV, en se basant sur les adresses électroniques qu’il avait vues à la télévision. Sa dernière phrase était la suivante : « Toutes les informations que j’ai fournies sont vraies et j’en assume l’entière responsabilité ».

Dans les jours qui ont suivi, il n’y a pas eu de réaction en Chine, mais les informations de Jiang Yanyong ont été reprises par les médias étrangers, diffusant dans le monde entier la nouvelle selon laquelle les autorités chinoises dissimulaient la gravité de l’épidémie de SRAS.

Révéler la vérité au monde entier

Le 8 avril, un journaliste du Wall Street Journal a demandé une interview. Le soir même, un journaliste du Time Magazine l’a également interviewé. Le 9 avril, le Time Magazine publie un article intitulé Beijing’s SARS Attack (L’attaque du SRAS à Pékin). Le 10 avril, l’OMS envoie une équipe d’experts à Pékin pour enquêter.

Les révélations du Dr Jiang Yanyong ont contraint les hauts responsables chinois à prendre des mesures. Le 17 avril, le secrétaire général Hu Jintao a insisté sur le fait que personne ne devait dissimuler ou mentir au sujet de l’épidémie. Le 20 avril, le ministre de la Santé, Zhang Wenkang, et le secrétaire adjoint du parti à Pékin, Meng Xuenong, ont été démis de leurs fonctions.

Au même moment, le vice-ministre exécutif de la Santé, Gao Qiang, annonçait l’épidémie à Pékin, avec de nouveaux chiffres près de 10 fois supérieurs aux chiffres officiels annoncés 5 jours plus tôt, atteignant 339 cas, auxquels s’ajoutaient 402 cas suspects. Le Dr Jiang Yanyong a été largement félicité pour avoir « courageusement révélé la vérité sur l’épidémie de SRAS, sauvant ainsi de nombreuses vies ». En 2004, Jiang Yanyong a reçu le prix Ramon Magsaysay par le service public des Philippines.

L’histoire du Dr Jiang Yanyong, le lanceur d’alerte du SRAS
L’hôpital général militaire 301 a envoyé des véhicules sur les lieux d’exécution pour prélever des organes frais sur les prisonniers. (Image : hysw001 / Pixabay)

Pétition à Xi Jinping pour une évaluation correcte du 4 juin

En 2004, à la veille du quinzième anniversaire de l’incident du 4 juin, Jiang Yanyong a écrit aux plus hauts dirigeants chinois dans l’espoir de rectifier le nom de l’incident du 4 juin lors du Congrès national du peuple en mars. Dans sa pétition, Jiang Yanyong décrit les scènes tragiques dont il a été témoin en tant que médecin et confirme les actions des militaires chinois qui ont tiré sur les manifestants. Par la suite, Dr Jiang s’est vu interdire de quitter le pays. En 2019, à la veille du 30ème anniversaire de l’incident du 4 juin, Jiang Yanyong écrit de nouveau au Secrétaire général Xi Jinping pour lui demander de rectifier l’incident du 4 juin.

Au cours d’une interview accordée aux médias de Hong Kong, Jiang Yanyong a déclaré que le plus grand malentendu concernant le 4 juin était de ne pas considérer la vie humaine comme un problème. Cette question devrait être claire pour chaque citoyen, cadre et dirigeant, mais comme les hauts dirigeants n’ont pas fait de déclaration claire, la plupart des dirigeants du Congrès national du peuple restent silencieux. Le Guardian a rapporté en février 2020 que Jiang Yanyong était assigné à résidence à Pékin depuis avril 2019 et qu’il était hospitalisé à l’hôpital 301. Son épouse, Hua Zhongwei, a déclaré aux médias britanniques que les autorités ne l’autorisaient pas à entrer en contact avec des personnes extérieures.

Révéler les sombres secrets du prélèvement d’organes

Lors du Congrès national du peuple en mars 2015, Jiang Yanyong avait révélé, dans une interview accordée à Hong Kong Cable TV, la corruption au sein de l’armée, soulignant notamment que l’ancien membre du comité permanent du Politburo et ancien secrétaire de la Commission centrale des affaires politiques et juridiques, Zhou Yongkang, possédait un grand nombre d’« armes de haute qualité » cachées dans des entrepôts secrets. Il a également dénoncé la pratique illégale généralisée de la transplantation d’organes et du commerce d’organes de prisonniers exécutés dans les hôpitaux militaires.

Même l’hôpital général militaire 301 a envoyé des véhicules sur les lieux d’exécution pour prélever des organes frais sur les prisonniers exécutés. Jiang Yanyong a déclaré que les greffes de foie en Chine continentale provenaient de prisonniers exécutés, y compris à l’hôpital 301 et à l’hôpital général de la région militaire de Pékin, qui disposaient de « centres de transplantation d’organes » principalement engagés dans la transplantation et le commerce illégaux d’organes, générant  d’importants bénéfices économiques et constituant une source majeure de revenus occultes pour les hôpitaux et le personnel médical.

Il a affirmé que pour obtenir des organes, ces centres étaient de connivence avec la sécurité publique, le ministère public et les tribunaux, et envoyaient des véhicules sur les lieux d’exécution pour récupérer les cadavres à chaque fois qu’il y avait des exécutions. Certains prisonniers étaient ramenés sur la table d’opération de l’hôpital pour y subir un prélèvement d’organes avant même d’être abattus, puis les organes étaient transplantés sur des patients. Leurs méthodes étaient inhumaines et épouvantables

L’histoire du Dr Jiang Yanyong, le lanceur d’alerte du SRAS
Jiang Yanyong est décédé à Pékin le 12 mars 2023, à l’âge de 92 ans. Cette nouvelle ne s’est pas répandue en ligne. Seuls quelques articles commémoratifs à son sujet sont apparus brièvement, puis ont disparu. (Image : Capture d’écran / rfa.org)

La disparition de Jiang Yanyong, le lanceur d’alerte du SRAS

« Dire la vérité et parler avec son cœur est extrêmement difficile, mais je dois insister pour dire la vérité », se souvient Jiang Yanyong, qui avait pris sa décision et se préparait au pire lorsqu’il a décidé de révéler, sous son vrai nom, la dissimulation délibérée des chiffres du SRAS par les autorités. Il a ajouté : « Je ne suis pas un héros. Donnez-moi simplement le nom de personne honnête. J’ai toujours pensé que la vie humaine était la plus importante, et que dire la vérité était la plus importante ».

Il a mis en pratique ce qu’il prêchait, mais cela lui a coûté sa liberté : les autorités chinoises l’ont assigné à résidence en 2019, jusqu’à sa mort. Jiang Yanyong, admiré en tant que « médecin militaire consciencieux », est décédé à Pékin le 12 mars 2023, à l’âge de 92 ans. Cette nouvelle ne s’est pas répandue en ligne. Seuls quelques articles commémoratifs à son sujet sont apparus brièvement, puis ont disparu.

L’histoire de Jiang Yanyong, qui a révélé l’épidémie de SRAS en 2003, reste sur l’internet chinois, mais ses expériences d’aide aux étudiants blessés lors de l’incident du 4 juin, d’appel à la rectification du mouvement étudiant de 1989 et de révélation des sombres secrets du prélèvement d’organes dans les hôpitaux militaires ont été complètement effacées. Son cas démontre les efforts incessants du gouvernement chinois pour contrôler les informations en ligne et dissimuler la vérité, ce qui nécessite des efforts continus de la part du monde extérieur pour découvrir la vérité.

Rédacteur Jean-Baptiste Adrien-Clotaire

Source : The Story of Dr. Jiang Yanyong, the SARS Whistleblower
www.nspirement.com

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