Au cœur des collines de Biligiriranga en Inde, riches d’une flore et d’une faune d’une grande biodiversité, vit le peuple solega. Cette tribu, autrefois semi-nomade, a pu coexister avec les animaux sauvages pendant des siècles grâce à ses vastes connaissances écologiques.
Le danger potentiel que représentent les animaux sauvages pour l’homme semble insignifiant aux yeux des Solega. Après de nombreuses années d’observation de la nature, la tribu comprend le rôle vital que chaque animal, tigre, léopard, éléphant ou ours paresseux, joue dans la conservation de la forêt. Ils les soutiennent et contribuent à la hausse de leur population, en particulier celle du tigre.
Les animaux sont leurs parents spirituels et leurs guides moraux
Selon le folklore et les traditions des Solegas, tout dans la nature est vivant et possède une essence spirituelle distincte. Les Solegas pensent que les animaux sont la manifestation des divinités et que leur faire du mal équivaut à commettre un péché majeur qui apportera des ennuis et un châtiment à son auteur.
« En ce qui concerne le tigre, nous disons que c’est l’animal de Madeswara (le dieu créateur des Solegas). Si nous blessons cet animal, Madeswara lui-même nous punira. Si nous tuons cet animal, Madeswara nous punira. Vous ne devez pas le faire ! Laissez l’animal en paix », a déclaré un membre des solega lors d’une interview réalisée dans le cadre d’un travail de recherche sur les relations entre l’homme et la faune sauvage.
Les animaux ne représentent pas seulement leurs divinités, mais les aident aussi à préserver leur moralité. Les Solegas ont constaté que chaque fois qu’ils commettent une erreur, les animaux s’approchent d’eux et ne les quittent pas tant qu’ils n’ont pas accompli un rituel d’apaisement pour se repentir devant les dieux. Ils pensent que s’ils mènent une vie honnête et exempte de péchés, leurs dieux les récompenseront en les protégeant des animaux dangereux.
La vie en forêt a permis aux Solegas de développer une connaissance encyclopédique de la faune. Ils peuvent identifier l’odeur de la plupart des animaux et déterminer l’humeur d’un éléphant par la façon dont il positionne sa trompe.
À travers leurs conversations avec les oiseaux, ils sont capables de savoir quand les pics les avertissent de la présence d’un animal dangereux ou quand ils leur conseillent un chemin sûr. À cela, les Solegas répondent par un coup de sifflet pour remercier et apaiser l’oiseau.
Au fil des générations, cette tribu a développé un mode de vie harmonieux qui respecte les cycles de la nature. Leur respect envers les autres habitants de la forêt se manifeste par une coutume particulière lors de la récolte du miel.
Après avoir grimpé en haut des arbres pour récolter le miel dans une ruche sauvage, les Solegas jettent les rayons vides au sol afin que les tigres, qui ne peuvent pas grimper aux arbres, puissent les manger. « Un tigre viendra les manger plus tard. Nous pressons le miel et nous partons, et le tigre vient et mange les rayons vides. »
Des gardiens de la nature expérimentés
Avant que l’expression « biologie de la conservation » ne soit adoptée, les Solega savaient déjà comment protéger la biodiversité de la forêt. Ils ont développé un procédé consistant à brûler les déchets qui est devenu une technique traditionnelle pour la rotation des cultures.
Les feux servent à contrôler la croissance d’une plante exotique envahissante appelée Lantana camara. Lorsqu’on laisse pousser cet arbrisseau à propagation rapide, il bloque des zones de la forêt, les rendant difficiles à parcourir pour les animaux et les humains, qui se retrouvent également dans l’impossibilité d’accéder aux sources de nourriture de la zone.
La prédominance du Lantana affecte la croissance des autres espèces végétales et peut faire en sorte que des mammifères se retrouvent piégés entre ses branches, menaçant ainsi la biodiversité de cet écosystème. De plus, selon les Solega, cette plante entrave l’écoulement naturel des eaux de pluie vers les plans d’eau.
Au nom de la conservation, le gouvernement a déclaré la forêt « sanctuaire de la faune et de la flore », interdisant aux Solegas d’appliquer leur technique traditionnelle du feu qui empêche la propagation du Lantana camara. De ce fait, la plante s’est rapidement propagée, détériorant les écosystèmes locaux.
Les indigènes, après avoir été témoins de la nocivité des changements écologiques survenus au cours des dernières décennies, ont expliqué comment ces politiques affectent la population de tigres : « il y avait autrefois des tigres tout autour d’ici… si vous voulez que le nombre de tigres augmente, vous devez d’abord vous assurer qu’il y a suffisamment de prairies. Ensuite, vous faites revenir les herbivores, et enfin les tigres. Les tigres ne reviendront que si vous faites cela. Là où il n’y a pas d’herbe, il n’y a pas d’herbivores, et là où il n’y a pas d’herbivores, il n’y a pas de tigres. »
Expulsion illégale et désinformation des médias
Selon Survival International, une ONG de défense des droits des peuples autochtones, à but non lucratif, lorsque la forêt a été déclarée « sanctuaire de la vie sauvage » en 1974, les Solegas ont été expulsés de leurs maisons et forcés de s’installer dans des villages permanents, après avoir été accusés de menacer la population de tigres de la forêt. Ceux qui ont refusé de quitter la forêt ont été emprisonnés, torturés et abattus par des agents forestiers.
Après les relocalisations, des rumeurs ont circulé selon lesquelles les Solegas, lorsqu’ils vivaient dans la forêt, menaient une vie difficile, entourés d’animaux dangereux qui leur inspiraient la peur. En outre, des rapports officiels ont été publiés indiquant que le nombre de tigres avait augmenté depuis l’expulsion de la tribu.
Cependant, les organisations de défense des droits des autochtones ont pris la parole pour préciser que, loin d’avoir peur des tigres ou de représenter une menace pour eux, les Solegas étaient leurs plus grands protecteurs, étant donné l’importance spirituelle de ce félin dans leur culture.
Après plusieurs années de procès, les Solegas sont devenus la première tribu à se voir accorder le droit de vivre dans une réserve naturelle. En vertu de la loi sur les droits forestiers, cette tribu a été autorisée à retourner et à protéger environ 60 % de la forêt.
Des études ultérieures ont révélé que pendant les quatre années qui ont suivi le retour des Solegas, la population de tigres de la forêt a presque doublé. Cette augmentation a largement dépassé le taux de croissance national des populations de tigres, amenant le public à remettre en question la fiabilité des rapports officiels publiés lors de la mise en œuvre de la loi sur la protection de la vie sauvage.
Rédacteur Fetty Adler
Collaboration Jo Ann
Soutenez notre média par un don ! Dès 1€ via Paypal ou carte bancaire.