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Homme. Qui a trahi la passion de Liang Sicheng et Lin Huiyin ?

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Liang Sicheng (1901 – 1972), souvent reconnu comme père de l’architecture chinoise moderne, et son épouse Lin Huiyin (1904 – 1955), architecte et poète, ont longtemps défendu l’essence de l’architecture chinoise de la ville de Pékin. Mais Liang Sicheng et Lin Huiyin ont dû assister impuissants à l’uniformisation de la vieille ville qui peu à peu a perdu son essence, son individualité et son attrait esthétique : portant atteinte à l’atmosphère chaleureuse et traditionnelle de la vieille ville de Pékin.

Qui a trahi la passion de Liang Sicheng et Lin Huiyin
Dans les années 1980, l’écrivain taïwanais Lung Ying-tai a visité Pékin. Elle a ressenti une profonde mélancolie. (Image : wikimedia / N509FZ, CC BY-SA 4.0)

Dans les années 1980, l’écrivain taïwanais Lung Ying-tai a visité Pékin. Elle a ressenti une profonde mélancolie. Elle a traduit cette sensation en ces termes : « L’impression générale de la nouvelle architecture est qu’elle manque d’individualité, de caractère et d’attrait esthétique, détruisant l’atmosphère chaleureuse et traditionnelle de l’ancienne ville, laissant le vieux Pékin introuvable. Ces sites historiques appartiennent à l’ensemble de la nation chinoise, et ils m’appartiennent. J’éprouve un sentiment de privation, comme si quelqu’un les avait détruits en mon absence ».

Que s’est-il passé à Pékin ?

À la fin de la guerre civile chinoise, le général nationaliste Fu Zuoyi (1895 – 1974), en poste à Beiping (le nom qu’a porté Pékin entre 1928 et 1945), a été influencé par sa fille, qui était une espionne communiste. Mais, en prenant sa décision, il pensait aussi à la protection des reliques culturelles de Beiping. Il a choisi de ne pas résister et s’est rendu aux communistes, préservant ainsi l’ancienne ville de Pékin.

Cependant, le constat au fil des ans est que la vieille ville de Pékin, qui n’avait pas été détruite par les balles de la guerre civile, a fini par complètement disparaître en temps de paix.

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En février 1950, Liang Sicheng a proposé de préserver entièrement la vieille ville de Pékin. Le nouveau plan a été immédiatement rejeté. C’est Mao Zedong qui a pris la décision finale. (Image : wikimedia / Sgsg / Domaine public)

L’histoire veut que le secrétaire municipal du Parti communiste de Pékin de l’époque, Peng Zhen (1902 – 1997), s’est un jour tenu debout sur la tour de la porte de Tiananmen et a déclaré au célèbre architecte et maire adjoint de Pékin Liang Sicheng : « Le président Mao a dit qu’à l’avenir, quand on regardera d’ici, on verra des cheminées partout ! ». Liang Sicheng a été choqué par cette remarque. Il a soutenu que « Pékin, ville concentrée sur l’architecture culturelle ancienne, ne devait pas se développer industriellement. Mais, qu’elle devrait devenir un centre politique et culturel comme Washington, D.C ».

En février 1950, Liang Sicheng a proposé de préserver entièrement la vieille ville de Pékin. Il a suggéré que la nouvelle zone administrative du gouvernement soit construite dans la banlieue Ouest de Pékin, à Yuetan. Cette disposition devait permettre à l’ancienne et à la nouvelle ville de se compléter et offrir à la ville un espace de développement plus important.

Cependant, le nouveau plan a été immédiatement rejeté. C’est Mao Zedong qui a pris la décision finale en précisant : « Démolir les arcades de Pékin et ouvrir des trous dans les portes de la ville est une question politique ! ».

Liang Sicheng et Lin Huiyin voulaient préserver le vieux Pékin

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Lin Huiyin, qui s’opposait également à la démolition des vieux bâtiments de Pékin, a présenté des éléments d’argumentation. Cependant, sa proposition n’a pas non plus été retenue. (Image : wikimedia / news.qq.com/a/20060829/001540_5.htm / Domaine public)

Lin Huiyin, qui s’opposait également à la démolition des vieux bâtiments de Pékin, a directement confronté Peng Zhen dans son bureau pour présenter des éléments d’argumentation. Mais, Peng Zhen ne connaissait rien à l’architecture ou à l’esthétique et ne pouvait que citer Mao Zedong : « Il s’agit d’une directive du président Mao. Le président Mao a dit que les murs de la ville symbolisaient le féodalisme, empêchant les paysans d’accéder à l’empereur. Aujourd’hui, le Parti et le peuple sont côte à côte, nous n’avons pas besoin de murs ».

Lin Huiyin a dû faire un compromis, suggérant que les murs soient transformés en un parc périphérique, avec des fleurs et des vignes plantées, des bancs installés et des escaliers construits pour escalader les murs, avec des ouvertures pour la circulation à des endroits clés, permettant aux citoyens de Pékin de se reposer et de se divertir. Cependant, la suggestion de Lin Huiyin n’a pas non plus été retenue.

Plus tard, toujours passionné par la préservation des arcades, Liang Sicheng a écrit à nouveau à Zhou Enlai, en prenant pour exemple l’arcade de la rue Jingde, devant le temple ancestral impérial. Il a décrit le paysage exquis formé par les pics des collines de l’Ouest vus à travers l’arc et la tour de la porte de Fuchengmen au coucher du soleil.

Cependant, la réponse était toujours : « démolir ». La série d’efforts déployés par Liang Sicheng pour protéger les sites historiques a également jeté les bases de la persécution dont il a fait l’objet pendant la Révolution culturelle.

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En dépit de l’opposition et des propositions de Liang Sicheng et Lin Huiyin , une campagne à grande échelle a été lancée pour démolir les anciens murs et bâtiments de la ville de Pékin. (Image : wikimedia / rheins, CC BY 3.0)

En dépit de l’opposition et des propositions de Liang Sicheng et Lin Huiyin, une campagne à grande échelle a été lancée pour démolir les anciens murs et bâtiments de la ville de Pékin. À l’origine, Pékin possédait trois couches de murs. La première couche était la cité centrale (la Cité interdite), la deuxième couche était la cité impériale et la troisième couche était la capitale, divisée en deux parties : la ville intérieure et la ville extérieure (la ville méridionale). Des trois couches de murs, à l’intérieur et à l’extérieur, il ne reste aujourd’hui que celle de la Cité interdite. Les murs extérieurs de la capitale ont disparu après 1949.

Qui a trahi la passion de Liang Sicheng et Lin Huiyin
Liang Sicheng espérait ainsi préserver l’aspect de la vieille ville en réalisant la « silhouette de l’architecture chinoise ». (Image : wikimedia / Fumihiko Ueno, CC BY 3.0)

Après la destruction des anciennes murailles et des arcades, de nouveaux bâtiments ont vu le jour dans la vieille ville de Pékin. Liang Sicheng a de nouveau proposé que les nouveaux gratte-ciel soient dotés de « grands toits » à la chinoise. Il espérait ainsi préserver l’aspect de la vieille ville en réalisant la « silhouette de l’architecture chinoise ». Cependant, une « grosse critique » en 1955 a rendu Liang Sicheng malade, et sa confidente depuis 36 ans, Lin Huiyin, est morte de dépression la même année.

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La démolition des murs et des arches de la vieille ville n’a pas complètement arrêté le Parti communiste. Le changement le plus évident a été la disparition des hutongs, des rues ou ruelles étroites communément associées aux villes du Nord de la Chine, en particulier à Pékin. (Image : wikimedia / Anagoria, CC BY 3.0)

En 1957, Liang Sicheng a écrit un article dans lequel il déclarait que la démolition des murs et des tours de la ville de Pékin revenait à creuser sa chair et à peler sa peau. Il a déclaré que le traitement brutal des bâtiments anciens lui causait une immense douleur. Mais à ce moment-là, il était impuissant. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était se précipiter sur le site à chaque fois qu’une arche était démolie pour la voir une dernière fois.

La démolition des murs et des arches de la vieille ville n’a pas complètement arrêté le Parti communiste chinois. Pékin a intensifié la transformation de sa vieille ville après la réforme et l’ouverture dans les années 1980. Le changement le plus évident a été la disparition des hutongs, des rues ou ruelles étroites communément associées aux villes du nord de la Chine, en particulier à Pékin.

Qui a trahi la passion de Liang Sicheng et Lin Huiyin
Les hutongs de Pékin, ces petits quartiers urbains constitués de passages étroits et de ruelles, sont passés de 1 800 sous la dynastie Qing, 1 900 sous la République de Chine et de 2 550 au début de la fondation de la République populaire. En 1998 il en restait 990 à Pékin. (Image : wikimedia / Anagoria, CC BY 3.0)

Selon les archives historiques, les hutongs de Pékin, ces petits quartiers urbains constitués de passages étroits et de ruelles, étaient au nombre de 1 800 sous la dynastie Qing, de 1 900 sous la République de Chine et de 2 550 au début de la fondation de la République populaire. En janvier 1998, la Map Publishing House a constaté qu’il y avait encore 990 hutongs à Pékin. Au tournant du siècle, un hutong disparaissait en moyenne tous les deux jours au cours de réaménagement urbain.

En 1972, Liang Sicheng, qui avait été critiqué pendant la Révolution culturelle, est décédé dans la pauvreté et la maladie.

Qui a trahi la passion de Liang Sicheng et Lin Huiyin
Les demandes réitérées de Liang Sicheng et Lin Huiyin pour préserver l’architecture chinoise de la ville de Pékin et mettre au service de cette architecture chinoise leur expertise n’ont pas été acceptées par les différents responsables communistes chinois. (Image : wikimedia / Gisling / CC BY-SA 4.0)

Les demandes réitérées de Liang Sicheng et Lin Huiyin pour préserver l’architecture chinoise de la ville de Pékin et mettre au service de cette spécificté chinoise leur expertise n’ont pas été acceptées par les différents responsables communistes chinois. Sur son lit de mort, Liang Sicheng n’a cessé de répéter : « De nombreuses villes dans le monde ont grandi. Mais, nous ne devrions pas suivre le mauvais chemin que les autres ont pris ».

Rédacteur Charlotte Clémence

Source : Who Betrayed the Passionate Devotion of Liang Sicheng and Lin Huiyin?
www.nspirement.com

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