L’association Ressources produit et diffuse des semences libres et reproductibles, tout en informant le public sur les enjeux agricoles actuels. En sensibilisant à l’importance de la biodiversité et des pratiques durables, elle contribue à la liberté alimentaire et à la préservation de notre patrimoine naturel.
L’association Ressources se trouve à Bretonnières, un joli village situé au pied du Jura vaudois. Dans son travail, elle tient compte des différentes étapes et acteurs du vaste processus conduisant « de la semence à l’assiette », en faisant des essais sur différents terrains avec différentes variétés. Chaque variété sera utilisée en cuisine pour savoir quelle est leur meilleure utilisation, ainsi que leur temps de conservation. De cette façon, l’acheteur est conseillé personnellement d’après ses besoins.
Pour l’association Ressources, l’accès à ces ressources « essentielles » doit être disponible à toute personne qui le souhaite, car la nature est à tout le monde et chacun doit pouvoir choisir librement. L’association est dans l’action et propose, en plus de sa sélection de semences libres et reproductibles, une transmission des savoirs et savoir-faire par des formations, des conférences, des manifestations, des livres et documents sur le jardinage, la nature, l’alimentation, l’histoire des plantes cultivées ou des outils comme la « grelinette ».
Son directeur, Joël Vuagniaux, a gentiment accepté de répondre à quelques questions :
La législation sur les semences est stricte et demande une homologation onéreuse, qu’en est-il pour vous ?
C’est quelque chose d’assez compliqué, qui n’est pas très clair. Il y a eu récemment plusieurs travaux de juristes sur la question, qui ont montré des incohérences dans cette loi. Mais dans la mesure où les gens font un travail responsable, qui ne va pas à l’encontre de l’intérêt général, je pense qu’il n’y a pas de problème. Il y a des quotas pour les variétés qui ne sont pas homologuées, dites aussi variétés de niche. Ce terme fait référence à des niches économiques. Il est donc admis qu’un certain pourcentage d’une espèce, par exemple une variété de carottes « hors liste », puisse être produite et vendue.
La loi impose des politiques de prévention. Mais en bio, sans prévention, il y a un moment où il n’est plus possible de traiter les problèmes. Donc nous sommes très attentifs depuis toujours aux problèmes de maladies, de ravageurs qui seraient particulièrement dangereux ou voraces. Maintenant, il y a des nouveaux risques qui sont apparus avec la mondialisation. Mais plutôt qu’admettre que le problème vient vraiment de là, l’industrie aura tendance à dire que ce sont ces petits paysans qui ne sont pas très sérieux et qui sont le vecteur potentiel des problèmes.
Comment fonctionnez-vous ?
Nos membres sont régulièrement contactés par des lettres d’information. Nous faisons très peu de publicité. Nous travaillons surtout avec nos membres. Ce sont eux qui nous soutiennent et qui, petit à petit, parlent de nous et nous font connaître. Nous organisons aussi des conférences, des événements qui sont ouverts à tout le monde.
Pour la production, nous avons notre propre réseau, des parrains et marraines de variété qui prennent en charge une variété pour éviter son extinction, puis la semence est intégrée dans notre collection.
Nous cultivons des variétés locales ainsi que des variétés venues d’ailleurs, pour autant qu’elles soient adaptées à notre région et qu’elles ne soient pas envahissantes. Pour moi, il n’y a pas de raison de limiter la biodiversité à des plantes indigènes, sauf dans les cas où elles mettent en péril le patrimoine ou l’écosystème.
Nous demandons une liberté de commerce dans le respect des règles commerciales. Par exemple, on ne vendra pas quelque chose qui n’est pas conforme à ce qui est annoncé. Mais cette loi commerciale a des limites d’intelligibilité, car elle standardise les dimensions des variétés. Selon moi, c’est un fantasme industriel, il est impossible de produire des fruits et légumes qui soient tous de la même dimension, c’est une absurdité. Une variété, par définition, varie en fonction des conditions du sol, du climat, de la météo, des pratiques. C’est une des différences entre les produits cultivés naturellement et les produits industriels types hybrides F1, OGM et, actuellement, les nouvelles techniques génomiques.
Avez-vous beaucoup de producteurs professionnels qui vous achètent des graines ?
Il y en a un certain nombre, oui. Mais en général, ils utilisent une partie de leur récolte, issue de nos graines, pour produire leur propre semence. Les volumes que nous produisons en ce moment sont assez faibles, ce qui nous oblige à vendre de petites quantités.
On offre aussi des semences pour des projets. En ce moment, il y a des choses qui vont bientôt partir en direction de l’Afrique. Mais ce peut être dans n’importe quel pays. Évidemment, nous sommes attentifs à n’envoyer que ce qui est vraiment utile.
Quelques restaurants achètent nos produits, mais nous sommes encore dans des phases de démarrage pour certaines variétés. Il faut beaucoup de temps pour avoir une bonne capacité de production selon les standards que nous souhaitons. Donc, il ne s’agit pas juste de fourguer des bonnes tomates à un restaurant, il faut encore que le restaurant soit preneur d’une certaine cohérence et que la qualité de ces produits soit la meilleure possible.
En fait, pour l’essentiel, nos acheteurs sont les jardiniers « amateurs ». C’est un terme juridique précisant qu’on les connaît plus ou moins. Nous sommes impliqués dans une certaine résistance face à des législations qui sont exclusives, parce que ça contrevient à la liberté qu’ont les gens de se nourrir comme ils l’entendent, dans la limite du respect de la liberté des autres.
Que dire de ces nouvelles techniques génomiques (NTG) ?
La technique OGM consiste à introduire un gène externe au génome de la plante. Les NTG vont modifier le génome de la plante sans ADN externe, lui permettant d’être plus résistante aux maladies et parasites et de supporter le changement climatique, c’est ce que prétendent les industriels et dont je ne crois pas un mot. C’est ce que fait l’agriculteur depuis des milliers d’années. Alors que le travail de l’agriculteur permet à la plante de trouver son équilibre, les NTG forcent la plante.
La nature a une forme d’intelligence qui lui permet de modifier une plante qui reste en cohésion avec les autres êtres vivants. On ne connaît pas les conséquences que ces modifications forcées ont sur les insectes pollinisateurs, sur la qualité nutritive de la plante et ce qui peut se produire suite à cette manipulation. De plus, tout comme les F1 et les OGM, ces plantes ne peuvent pas se reproduire et deviennent la propriété des multinationales.
On arrive à un point de bascule, où l’éthique, l’argent et la politique sont dans un dialogue qui n’existe quasi plus, car c’est toujours la technologie qui triomphe à partir du moment où elle s’appuie sur des gains supposés, des parts de marché, etc. On arrive à ce point, car la résistance à ces nouvelles techniques génomiques est très relative. Il y a des associations d’utilisateurs potentiels et de distributeurs de ces produits, dont la grande distribution telle que Coop et Migros, qui veulent favoriser l’utilisation de ces nouvelles techniques génomiques.
C’est un pourcentage très réduit de la population qui comprend réellement ce qui se passe. Donc, va-t-on arriver à ce que le seuil de conscientisation critique soit atteint ? Je ne sais pas. Mais cette affaire devrait mobiliser toutes les filières agricoles. Elles devraient réfléchir et se rendre compte que c’est un non-sens total. Ces nouvelles techniques sont extrêmement dangereuses parce que, contrairement à ce que disent leurs protagonistes, elles ne permettent pas de savoir exactement ce qui va se passer.
Heureusement, il y a quand même des réactions au niveau du public. Donc là, en ce moment, il est difficile de savoir s’il va y avoir une réaction suffisante pour bloquer ces processus de législation que souhaite imposer l’Union européenne à savoir, que les NTG seront autorisées sans restriction ni information au consommateur. Seuls, les produits bio n’auront pas le droit de les utiliser. C’est pourquoi nous faisons notre possible pour sensibiliser la population.
Vous dites, l’information, c’est la clé de la liberté. Est-ce que vous pouvez un peu approfondir cela ?
Souvent, les gens qui viennent nous voir découvrent certaines choses sur des pratiques agronomiques industrielles ou autres. Ils pensent avoir déjà une certaine culture sur le sujet. Quand on leur explique l’usage de certaines substances, de certains produits ou de certaines pratiques, en particulier dans l’utilisation des hybrides F1, souvent, ils sont étonnés d’apprendre que leurs paniers bio auxquels ils sont abonnés depuis des décennies ont des légumes issus de variétés F1. C’est simplement que ce sujet est très peu connu. Il ne faut pas diaboliser les hybrides F1. Ce n’est pas un poison, mais c’est un problème. On dépend d’un système qui ne peut être qu’industriel pour produire ces semences-là.
Et en plus, on sait maintenant de façon fiable et répétée que le taux nutritionnel des hybrides F1 est quasiment toujours largement en dessous des variétés naturelles, traditionnelles, anciennes, etc. Donc oui, l’information, effectivement, c’est la clé de la liberté parce qu’à partir du moment où vous avez compris que la qualité nutritionnelle dépend d’un certain nombre de choses dans les processus de culture, vous devenez plus libre de vous émanciper d’une certaine prison que représente tout le système industriel, depuis la graine jusqu’aux magasins.
Reportage Catherine Keller
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