Considérés comme des avatars des montagnes dans la Chine ancienne, les rochers aidaient l’érudit à imaginer les sommets sacrés des chaînes de montagnes lointaines où résident les esprits. Une telle pierre pouvait symboliser un microcosme du monde entier. Ces pierres dites pierres ou rochers de l’érudit sont appelées gongshi (供石) en chinois.
Les gongshi, ou rochers de l’érudit
La montagne occupe une place particulière dans l’art et la philosophie chinois. Les érudits ont tenté de transmettre la majesté, la sainteté et l’éternité de la montagne, ainsi que les idéaux esthétiques et les manifestations spirituelles. L’un des huit trigrammes divinatoires, gen (艮), prend la montagne comme symbole, représentant le résultat d’une action achevée.
Les sommets des montagnes peuvent être représentés dans des peintures plates en deux dimensions, mais aussi en trois dimensions grâce à des roches ou des pierres façonnées. Pendant des siècles, les lettrés chinois ont collectionné des roches aux formes inhabituelles pour embellir leurs jardins ou décorer leurs lieux d’étude. Ces pierres dites de l’érudit, ou pierres d’esprit, peuvent être massives, pesant des centaines de livres, ou être plus légères qu’une livre.
Les gongshi sont composés à partir de certaines roches.
Les gongshi sont composés de calcaire qui a été érodé par l’eau. Le calcaire est partiellement soluble dans l’eau : la solubilité est accrue si l’eau contient un peu d’acide, généralement de l’acide carbonique provenant du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère.
À grande échelle, l’érosion du calcaire est à l’origine d’immenses grottes, telles que les cavernes de Carlsbad et de Luray. À plus petite échelle, l’eau érode la surface d’une roche, créant des pores, des canaux, des dépressions, de minuscules grottes, des cavernes miniatures, le tout dans des formes saisissantes. Le yin de l’eau agit sur le yang de la pierre.
Les gongshi célèbres proviennent de trois endroits situés en Chine uniquement, ce qui ajoute à leur valeur et à leur caractère distinctif.
Les pierres Lingbi (靈璧), littéralement « jade de l’esprit », proviennent du Nord de la province d’Anhui. Elles sont denses, d’un noir profond, et brillantes. Elles sont naturellement résonantes, produisant un son agréable lorsqu’on les frappe.
Les pierres de Yingde (英德) proviennent de grottes du comté de Yingde, dans la province du Guangdong. Elles ont tendance à être fines et élancées. Leur surface est marquée de sillons tordus, de plis, de rides et de lignes, autant de propriétés appréciées des collectionneurs.
Les pierres de Taihu (太湖) proviennent de la province du Jiangsu, de formations calcaires uniques au pied de la montagne Dongting, soumises aux déferlantes du lac Tai adjacent, et aujourd’hui tristement pollué. Certaines roches ont été forées puis immergées dans le lac pendant des centaines d’années.
Les érudits collectent ces roches depuis plus de mille ans, et continuent de le faire aujourd’hui. Tout récemment, Wan-go H. C. Weng a fait don de sa collection au Musée des Beaux-Arts de Boston. En 2015, chez Christie’s à Hong Kong, une roche de la collection Beyond White Clouds s’est vendue 38 891 dollars.
Les qualités de la pierre de l’érudit
Quelles sont les qualités qui font qu’une roche est particulièrement prisée ou précieuse ? Dès le début, sous la dynastie Tang (618 à 907 ap. J.-C.), la présence de la finesse, de l’ouverture, des perforations et des rides était considérée comme une qualité recherchée.
D’autres propriétés appréciables sont la couleur, la texture, la forme, les marques, la résonance du son lorsqu’on la frappe, l’âge et l’origine géographique. La forme est importante : des surplombs proéminents ou une forme pyramidale inversée sont souhaitables si l’équilibre général est maintenu. Toute ressemblance avec un dragon, un animal, un être humain ou toute autre structure naturelle est intéressante. Les zones lisses qui peuvent être caressées sont agréables.
Les creux et les perforations offrent un contraste spectaculaire avec la solidité de la pierre, rappelant les concepts de vide et de néant de la théorie confucéenne. Pour le propriétaire érudit, les gongshi sont une représentation de la nature, une incitation à la méditation et une source de plaisir esthétique.
De par sa forme, la roche peut dégager une énergie spirituelle que l’érudit chanceux peut absorber. Les pierres, avatars des montagnes, aident l’érudit à imaginer les sommets sacrés de chaînes de montagnes lointaines où résident les esprits. Les collines apparemment éternelles reflètent la longévité de l’existence humaine. Une telle pierre devient un microcosme du monde entier.
Même si nous n’avons pas les moyens de nous offrir des roches érodées complexes provenant de lieux exotiques chinois, nous pouvons trouver, collectionner et apprécier des pierres et des roches intéressantes pour nous-mêmes. Elles peuvent évoquer la beauté, l’harmonie et le mystère de notre monde naturel.
Rédacteur Yasmine Dif
Source : Gongshi: The ’Scholar’s Rocks’ of China
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