Sur les eaux anciennes de la rivière Lijiang, entourée des pics enchanteurs des montagnes de Guilin, une scène envoûtante continue de se dérouler, bien que moins fréquemment qu’auparavant. Des pêcheurs chevronnés sur des barques en bambou brassent la surface de l’eau, où des oiseaux à plumes sombres plongent avec allégresse, chassant les poissons avec une précision remarquable. Cette scène se réfère à la pêche au cormoran, une méthode traditionnelle utilisant ces oiseaux pour la pêche en eau douce.
Depuis plus de 1 300 ans, les hommes et les oiseaux coopèrent dans l’art de la pêche traditionnelle. Avant l’introduction des outils de pêche modernes, cette collaboration durable permettait aux hommes de gagner leur vie et aux oiseaux de s’assurer l’attention des propriétaires.
Explorons cette technique de pêche traditionnelle, comment elle éclaire la relation des anciens avec la nature et comment elle est utilisée aujourd’hui.
Une origine incertaine et lointaine
La première mention de la pêche au cormoran figure dans le Livre des Sui, un ouvrage historique de la dynastie des Sui (581-648) achevé sous la dynastie Tang qui lui a succédé.
Il est intéressant de noter que le livre décrit cette activité comme une pratique inventée par les Japonais, et non par les Chinois. La question de savoir si elle est née dans l’un ou l’autre de ces pays, ou dans les deux à la fois, est encore débattue. Ce qui est certain, c’est que cette technique était largement utilisée sous la dynastie Song (960-1279) et très populaire sous la dynastie Ming, plusieurs centaines d’années plus tard.
La technique de la pêche au cormoran a également été utilisée en Occident, dans des endroits tels que la Grèce et la Macédoine du Nord, où elle est encore pratiquée par certains vétérans. L’Angleterre et la France ont également adopté cette technique, non pas pour la subsistance, mais pour le divertissement, en particulier pour la royauté européenne au cours des XVIe et XVIIe siècles.
Il existe des preuves que la pêche au cormoran est pratiquée depuis des siècles au Pérou. En effet, le peuple Uru du Pérou a longtemps entraîne et fait travailler une espèce de cormoran connue sous le nom de cormoran néotropical Nannopterum brasilianum, exclusive aux régions tropicales et subtropicales de l’Amérique.
Les Japonais, quant à eux, utilisent le cormoran japonais Phalacrocorax capillatus, une espèce à bec jaune qui habite des régions allant de Taïwan à l’Extrême-Orient russe, en passant par la Corée et le Japon.
En Chine, le grand cormoran Phalacrocorax carbo est très apprécié des pêcheurs traditionnels de la rivière Li. Cette espèce, de taille très variable, est principalement noire. Son aire de reproduction se situe dans l’Ancien Monde (Afrique, Europe et Asie), en Australie et sur la côte atlantique de l’Amérique du Nord.
L’habileté du cormoran
Les cormorans sont des oiseaux aquatiques, de taille moyenne à grande, dont le corps est plus adapté à la vie dans l’eau qu’à la vie hors de l’eau. Leurs ailes courtes, généralement ornées de plumes sombres, sont conçues pour faciliter les mouvements sous l’eau, en complément de la fonction propulsive de leurs doigts palmés.
Ils sont de nature piscivore et leur bec long et fin, associé à une vitesse remarquable pour fendre l’eau, leur permet de capturer leurs proies avec une grande précision. Selon l’espèce, certains cormorans peuvent plonger à des profondeurs incroyables (jusqu’à 45 mètres) et rester sous l’eau jusqu’à cinq minutes.
Ces oiseaux parviennent également à pêcher dans l’obscurité, ce qui laisse supposer d’autres formes de détection des proies que les formes visuelles. Contrairement à la plupart des oiseaux, les plumes des cormorans ne sont pas complètement imperméables, ce qui leur permet de plonger et de nager plus facilement. Une fois sur terre, ils déploient leurs ailes, offrant leur plumage au vent pour le sécher, dans une attitude typique qui leur est propre.
Les cormorans vivent généralement le long des côtes, bien que certaines espèces puissent être présentes à la fois dans les eaux côtières et dans les eaux intérieures. Leurs habitudes (et non leur physiologie) changent pour s’adapter à leur environnement, ce qui explique qu’en hiver, les cormorans du Groenland nécessitent presque deux fois plus de nourriture que leurs congénères de Normandie, tout en conservant la même température corporelle.
La technique traditionnelle
Le dressage des cormorans commence généralement dès l’éclosion, soit par la socialisation avec des compagnons plus âgés, soit par un système de récompense qui leur apprend à coopérer avec leur propriétaire. À l’âge de quatre mois, ils sont prêts à participer à la tâche et à pêcher activement jusqu’à la fin de leur vie, qui est d’environ 20 ans.
Avant que les cormorans ne soient autorisés à aller dans l’eau, les pêcheurs attachent des cordes autour de leur cou, suffisamment lâches pour leur permettre d’avaler de petits poissons, mais suffisamment serrées pour empêcher les poissons plus gros de passer au-delà de leur gosier. Lorsque l’oiseau attrape un gros poisson, il revient instinctivement vers le bateau ou le radeau, où les pêcheurs lui retirent le poisson de la gorge et le dédommagent pour ses efforts.
Dans le cadre de ce partenariat millénaire, les oiseaux et les hommes peuvent attraper plusieurs dizaines de poissons par jour, consolidant ainsi un lien durable de coopération, de camaraderie et de survie.
Pas seulement des oiseaux mais aussi des compagnons
Bien que le fait d’attacher le cou des oiseaux et de leur offrir une récompense inférieure à leur prise puisse sembler cruel et injuste, les deux parties bénéficient de cette relation de collaboration : les humains gagnent leur vie tandis que les oiseaux voient leurs besoins fondamentaux satisfaits.
Cette interaction repose sur la croyance des anciens en une vie en harmonie avec la nature. Dans l’environnement particulier de la Chine ancienne, où les philosophies du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme ont façonné la pensée et le comportement de la société, les gens respectaient toutes les formes de vie. Cependant, ils reconnaissaient également le rôle de la nature dans la survie de l’homme et n’hésitaient donc pas à utiliser les ressources qu’elle leur offrait pour prospérer.
Comme de nombreuses traditions du passé, la pêche au cormoran est une question de dépendance de l’homme à l’égard de la nature, mais elle a aussi quelque chose d’unique. Compte tenu de la durée de vie relativement longue des oiseaux et de leur dressage dès le plus jeune âge, les pêcheurs s’habituent également à la compagnie de leurs oiseaux. Pour certains pêcheurs, les cormorans sont comme leurs enfants.
C’est pourquoi de nombreux pêcheurs utilisent l’expression familière chinoise ("养命仔" yǎngmìngzī) pour parler de leurs cormorans, car elle désigne traditionnellement un fils qui vit pour subvenir aux besoins de ses parents. Dans le cœur des pêcheurs traditionnels, il y a de l’affection, mais surtout du respect, pour leurs oiseaux.
Une tradition presque perdue
Il reste peu de pêcheurs traditionnels dans le monde, surtout en Chine. Les outils de pêche modernes ont rendu cette technique traditionnelle obsolète, et les hommes qui ont consacré toute leur vie à ce métier continuent parfois à l’exercer, mais désormais sous les yeux de nombreux spectateurs, poussés par l’industrie du tourisme.
Sur les eaux pittoresques de la rivière Li à Guilin, les radeaux de bambou qui transportaient autrefois hommes et oiseaux pour la pêche sont aujourd’hui propulsés par de jeunes pêcheurs prêts à donner une représentation en direct au rythme d’une musique plus moderne. Les cormorans accompagnent toujours les jeunes pêcheurs, mais ils sont désormais employés dans le cadre du spectacle.
Sans la possibilité de travailler en étroite collaboration avec les oiseaux, et avec une industrie axée sur l’argent, les spectacles augmenteraient le revenu annuel des villageois d’au moins 20 à 30 000 yuans, il reste à voir si les jeunes pêcheurs honorent et considèrent toujours les oiseaux comme le faisaient leurs ancêtres. Mais une chose est sûre : tant que les traditions sont préservées, l’harmonie avec la nature peut prévaloir.
Rédacteur Fetty Adler
Collaboration Jo Ann
Source : Cormorant Fishing: A Millenary Tradition of Human-Wildlife Collaboration
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