Ce premier week-end d’automne 2022, le syndicat des cueilleurs de plantes médicinales célèbre les 40 ans d'une rencontre : celle d’un savoir-faire compilé par les moines au Moyen Âge dans des codex, et de vies végétales, dont les propriétés étaient déjà mentionnées dans le Livre de la Sagesse. Les anciens appelaient ces plantes la « Pharmacie du bon Dieu ». Au Moyen Âge, elles étaient dénommées les simples et constituaient la base de la médecine médiévale. Ces fêtes des 40 ans, aussi appelées Fêtes des simples 2022, seront pour beaucoup l’occasion de découvrir, ou de redécouvrir, ces plantes et l’art du cueilleur.
Mais que sont ces plantes que l’on appelle les simples et pourquoi vouloir préserver le savoir-faire du cueilleur, devenu un des savoir-faire du patrimoine culturel immatériel en France ?
Les simples : ces plantes disponibles et proches de chacun
La sauge, la mélisse, l’angélique, la violette, l’achillée millefeuille, le lys, l’armoise, la verveine, la réglisse…, ces noms résonnent à l’oreille de chacun. Elles jonchent les sols, marquent les saisons. Elles accompagnent parfois les tisanes ou autres préparations chaudes ou froides, et sont connues de l’herboriste.
Renommées depuis les temps immémoriaux, il est fait mention de ces plantes dans le Livre de la Sagesse, aussi connu sous le nom de Sagesse de Salomon et intégré à l’Ancien Testament. Au IVe siècle av. J.-C., Dioclès, un médecin grec disciple d’Aristote, a écrit l’un des plus anciens livres sur les plantes médicinales. Par ailleurs, au Ier siècle av. J.-C., l’existence d’un autre ouvrage, composé par le médecin botaniste grec, Dioscoride, sera une ressource importante pour une meilleure connaissance des plantes médicinales.
Au Moyen Âge, il a été donné le nom de simples, à ces plantes qualifiées de plantes médicinales. Ce terme viendrait du latin simplicis medicinae ou simplicis herbue. Ces plantes étaient le plus souvent « utilisées telles que fournies par la nature ». La dénomination de simples vient-elle aussi de leur caractère humble, ordinaire ou modeste ?
Fruits de la combinaison des conditions climatiques, du ruissellement de l’eau, du cycle des saisons, des facteurs d’ensoleillement, de la composition du sol et du sous-sol, et du cycle des humus botaniques, ces vies végétales, qui poussaient à l’état sauvage dans la nature, étaient cultivées dans les jardins des cloîtres et des monastères. Elles constituaient la base de la médecine médiévale.
Au VIIIe siècle, Charles Ier de France, plus connu sous le nom de Charlemagne, ou Carolus Magnus, a édité un acte législatif : le Capitulaire De Villis ou Capitulare de Villis vel curtis imperii. Par cet acte qui définissait le contenu de trois sortes de jardins, le jardin des simples dans les monastères prendra le nom de herbularius. On y trouvera des plantes médicinales et des essences aromatiques : ces dernières étaient aussi utilisées à des fins médicinales.
Le Livre des simples médecines (Liber de simplici medicina), écrit au XIIe siècle par un médecin de l’Ecole de médecine de Salerne, Mathieu Platearius, est le premier dictionnaire occidental relatif aux simples. Il est devenu par la suite une Bible pour les herboristes parisiens dès le XVe siècle.
Ces plantes, dites simples, ont traversé les siècles et fleurissent dans les campagnes, mais aussi dans les villes. Elles profitent de la moindre parcelle de terre pour se développer et faire savoir qu’elles existent. Pour ceux qui savent les utiliser, elles continuent à occuper le rôle qu’il leur a été accordé dès la nuit des temps, accompagner l’être humain et le garder en bonne santé.
L’art du cueilleur et la préservation de l’environnement
Le métier de cueilleur remonte aux temps immémoriaux : ces temps où l’homme devait aller chasser et trouver sa nourriture au sein de la nature.
Dans le Guide des bonnes pratiques de cueillette des plantes sauvages, pour une gestion durable de la ressource : une publication de l’Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC), il est précisé dans les propos introductifs : « La cueillette est une pratique vieille comme l’humanité, c’est l’une des très rares, peut- être la seule, où les gestes d’aujourd’hui sont parfois restés inchangés depuis le paléolithique ».
De nos jours, de nombreux jeunes, mais aussi des personnes souhaitant se tourner vers leurs racines et la nature, veulent s’engager dans ce métier ancestral. Il devenait ainsi nécessaire de développer une harmonisation de la philosophie, mais surtout de la déontologie du cueilleur.
Thierry Thévenin est cueilleur professionnel et porte-parole du syndicat Simples. Dans le Guide des bonnes pratiques, il a précisé, en propos liminaires, différents éléments. Il avance que « La cueillette et plus largement l’exploitation de plantes sauvages, participent donc à une économie considérable qui a des incidences environnementales et sociales, tant positives que négatives, au niveau de nos territoires. Dans ce contexte, l’Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages s’est engagée dans de nombreuses actions pour préserver cette flore exploitée… »
D’emblée, l’art du cueilleur est placé dans le temps, avec une notion de continuité d’un savoir-faire remontant à la nuit des temps, mais aussi dans la préservation d’une flore indispensable au maintien d’un environnement durable et à la protection des espaces naturels.
L’importance de pouvoir développer un art du cueilleur est aussi rappelée en ces termes : « En quelques décennies, le monde de la cueillette a considérablement évolué. De l’époque où elle représentait une activité confidentielle et anecdotique, aux yeux du public et des pouvoirs publics, la cueillette sauvage est devenue, peu à peu, visible médiatiquement et connaît même un essor très important depuis une vingtaine d’années. Les jours de la cueillette "héroïque", sans contrôle et sans permission, sont révolus ».
Le Guide des bonnes pratiques rappelle que : « Au-delà de la connaissance et de l’expérience qui guident leurs gestes, les cueilleurs développent une éthique de cueillette, c’est-à-dire un ensemble de principes moraux à la base de leurs pratiques. C’est cette éthique qui permet à chaque cueilleur de construire un point d’équilibre dans cette tension entre un souci de rentabilité économique, car il faut bien vivre de son métier, et la préservation de la flore et de l’environnement ».
Ce savoir-faire et cette éthique professionnelle, mis au service de la préservation de l’environnement et du développement durable, ont conduit à inscrire le ramassage des simples au niveau des fiches d’inventaire des savoir-faire du patrimoine culturel immatériel en France, le 2 septembre 2019.
Des fêtes des simples pour faire revivre cette culture plus que millénaire
Avec pour thèmes : Préserver, Résister, Transmettre, les fêtes se déroulent du 24 au 25 septembre dans de nombreuses régions françaises. Ainsi, dans le Jura, en Bourgogne, en Bretagne, dans la région Auvergne, … entre autres, de nombreux lieux accueillent un public de connaisseurs et de curieux. Il sera possible de participer à des ateliers, d’assister à la diffusion de documentaires et d’échanger avec les cueilleurs professionnels, ou les passionnés de cueillette.
Ces fêtes, organisées par le syndicat Simples, célèbrent les 40 ans d’une démarche mise en place en 1982. « À l’aube des années 1980, ils étaient une poignée de paysans à s’installer dans des zones de montagne, alors en voie de désertification (Cévennes, Haute-Provence, Haute-Loire, Vosges, Ariège, etc.) pour cultiver et cueillir des plantes aromatiques et médicinales et ont fondé en 1982 en Cévennes le syndicat Simples », précise Thierry Thévenin, sur le site du syndicat.
« Ils se sont, dès le début, attachés à la défense de l’environnement, à la liberté et à l’autonomie. Aujourd’hui, ils et elles sont plusieurs centaines réparties dans toutes les régions de France, avec le même engagement et avec les mêmes convictions. Depuis 40 ans, ils ont fait preuve de créativité, de résilience et même d’une certaine clairvoyance sur les évolutions sociétales et environnementales. Ils font toujours preuve de courage, de ténacité, et d’optimisme malgré les difficultés et les incertitudes qui caractérisent notre époque. Ils cultivent, cueillent, transforment et conseillent toujours avec bonheur et enthousiasme leurs plantes aromatiques et médicinales qu’on appelle également les
simples », trouve-t-on toujours sur le site du syndicat.
Les cueilleurs aiment s’exprimer sur leur art. « J’ai découvert la cueillette il y a seize ans, en compagnie d’autres cueilleurs, notamment Denis Chaud et Gérard Ducerf. Je me suis tout de suite senti bien dans cette activité, au milieu du sauvage. Cette vie de nomade rythmée par les saisons et les cueillettes a dû parler à quelques gènes enfouis au plus profond de moi » a déclaré Alexandre Dufour, un cueilleur et administrateur de l’AFC. Gageons que ces fêtes des simples permettront de retrouver ces gènes enfouis au plus profond de chaque être humain.
Collaboration Charlotte Clémence
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