La conque marine occupe les océans depuis la nuit des temps. Accompagnant l’homme tout au long de son existence, elle a marqué d’une empreinte indélébile diverses sociétés traditionnelles. Découvrons quelques vérités sur un coquillage mythique, jalousement protégé dans le monde moderne.
Présentation de la conque marine
Quel que soit son nom, « Queen Conch » dans les îles anglophones, « conque à lambi » dans les Antilles françaises, ou « strombus gigas », de son nom latin, la conque est « une coquille en spirale de certains grands gastéropodes » nous dit l’Académie française. Elle est reconnaissable par sa morphologie singulière, ses longues saillies et sa lèvre évasée. C’est le premier et le plus vieil instrument de musique du monde dont le son serait vieux de 18 000 ans, selon les recherches effectuées sur un spécimen trouvé à Toulouse en 1931. Cependant « ce n'est que récemment que les chercheurs ont découvert que le coquillage avait été modifié, percé en deux endroits, probablement pour y faire passer un os creux qui faisait alors office de résonateur » peut-on lire sur le site de Euronews. « La puissance du son produit par cette conque est incroyable. C'est plus de 100 décibels. Donc si vous imaginez ce genre de musique dans une grotte qui ressemble à un couloir, vous pouvez imaginer le genre de sensation que les gens ont ressenti quand quelqu'un parmi eux jouait cette musique. » précise l’archéologue Philippe Walter, de l’Université Sorbonne.
La conque marine, emblème des cultures précolombiennes
Ce grand coquillage répandu dans les régions tropicales et subtropicales est intimement lié à l’histoire des Amérindiens. Avec sa dimension à la fois culinaire, musicale, et rituelle, la conque marine est dotée de multiples atouts. Utilisée pour sa chair, ses qualités gustatives étaient mises à l’honneur. En outre, sa robustesse permettait de fabriquer soit des parures, des bijoux ou des armes. La conque marine annonçait les évènements importants de la vie sociale, par exemple l’arrivée d’un bateau de pêche ou la disparition d’un proche. La conque tenait lieu de moyen de communication privilégié. L’ancêtre du téléphone et des réseaux sociaux en somme…
La conque devient strombophone
Transmise aux peuples réduits en esclavage, la conque marine est devenu un symbole de résistance. Les « marrons » de Haïti et des Antilles françaises, grâce à la conque traditionnelle, colportaient de colline en colline de nombreux messages. Le temps a passé, puis le monde contemporain et ses technologies de communication innovantes ont plongé la conque marine dans l’oubli. Depuis quelques années toutefois, l’importance croissante du carnaval a remis la conque sur le devant de la scène. C’est elle qui donne l’alerte et scande de façon tonitruante les rythmes du carnaval. Nombre d’artisans chercheurs, de musiciens chevronnés et passionnés ont mis en avant la dimension musicale de la conque marine pour en faire un instrument à part entière. Ils l’appellent familièrement « strombophone ».
Martial Rancé, un musicien chercheur originaire de la Guadeloupe est tombé sous le charme de la conque et plus singulièrement de la conque à lambi. Dans un film documentaire récent réalisé en partenariat avec le Ministère de la culture, il révèle que la conque marine constitue la synthèse de deux instruments : la trompette et la flûte. Dans son atelier, il a mis au point la technique adéquate pour fabriquer des conques désormais très recherchées. Trois étapes clés sont nécessaires avant d’obtenir un produit fini : la sélection, le traitement et la fabrication. Deux facteurs vont déterminer les sons graves ou aigus et moduler les notes : la taille de la coquille traitée par l’artisan, ainsi que la manière dont l’instrumentiste va déplacer sa main. Il existe même des chœurs constitués uniquement de conques de lambi. De telles formations ont reçu dernièrement le nom de « symphonies de porcelaine ».
La conque nous reconnecte au cosmos et nous rapproche du sacré
L’engouement pour la conque marine, instrument phare du carnaval antillais aux accents de plus en plus identitaires, s’explique d’après les spécialistes par ses origines amérindiennes. Rappelons que la conque marine représentait pour les Amérindiens la « reine de l’océan », car elle leur permettait de vivre. Capable d’imiter le son des baleines, elle symbolisait la fécondité autant que la mort. Les plus belles coquilles ornaient les tombes, tradition encore vivace dans la société caribéenne moderne. Pour Martial Rancé, cité plus haut, la conque, c’est un « objet qui nous relie entre nous, entre les peuples, et avec le cosmos. Le cosmos, c’est quoi ? C’est la nature, et le son a un rôle fondamental dans la cohérence de toute la nature. Donc jouer avec un instrument primitif qui nous rattache à l’origine de l’homme, c’est un peu participer à cette nature dont nous nous sommes éloignés ». Il ajoute pour conclure : « Donc je suis la nature et je me suis reconnecté à la nature en jouant de la conque ». Outre les musiciens, beaucoup de personnes reconnaissent qu’au moindre contact, la conque a la capacité de nous connecter à quelque chose de grand et d’indicible.
En dehors des sociétés précolombiennes, nombre de cultures ont associé l’usage des conques marines aux rites religieux, qu’il s’agisse de l’Inde, de Madagascar, du Japon. C’est dire qu’elles lui attribuent un caractère sacré proche du divin. En nous rapprochant du sacré, la conque marine mérite bien son titre de reine des océans.
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