Jacob Desvarieux, guitariste, producteur et co-fondateur du groupe antillais Kassav’, s’est éteint à Pointe-à-Pitre le 30 juillet 2021 à l’âge de 65 ans. Très affaibli depuis sa greffe rénale, il avait reçu trois doses du vaccin. Contaminé par le coronavirus, il fut hospitalisé et placé en coma artificiel pour recevoir les soins. Il ne s’est jamais réveillé. L’un des ambassadeurs les plus charismatiques de la culture antillaise ne fera plus entendre sa voix.
Une enfance mouvementée
Jacob Desvarieux est né à Paris le 21 novembre 1955. Sa mère, Cécile Desvarieux qui aimait voyager, emmène le jeune Jacob âgé de trois mois en Guadeloupe. Les années suivantes se partagent entre la Martinique et la Guadeloupe. Jacob Desvarieux retourne dans l’Hexagone. Sa mère lui offre sa première guitare, moins dangereuse qu’un vélo estime-t-elle. Il a alors 10 ans mais c’est à Dakar, la destination suivante qu’il s’initie à cet instrument avec un voisin musicien. Après deux années passées au Sénégal, Jacob Desvarieux revient vivre à Marseille. La musique occupe une place importante dans sa vie. A l’âge de 16 ans, il est déjà arrangeur et fonde un groupe de rock le Bad Grass. Il abandonne le lycée pour mieux se consacrer à la musique et monte à Paris pour tenter sa chance.
Naissance du concept Kassav’
En 1979 Jacob Desvarieux rencontre Pierre-Edouard Décimus, alors leader de l’orchestre Les Vikings de Guadeloupe. Ce dernier lui explique son projet : créer un groupe qui fasse rayonner la musique de Guadeloupe dans le monde entier. Sur le plan musical le groupe aurait pour base les percussions du gros ka, le tambour traditionnel guadeloupéen. Les textes seraient chantés en créole. Le nom du groupe devrait évoquer la Guadeloupe, d’où le choix de « Kassav’ » en référence à la cassave, galette de manioc préparée en Guadeloupe. Jacob Desvarieux jugea ce projet « mégalo » mais intéressant. Il fut recruté comme arrangeur au talent confirmé tandis que Georges Décimus, le frère de Pierre-Edouard a rejoint le groupe en tant que bassiste. Avec la collaboration de Freddy Marshall se crée le groupe Kassav’ qui sort son premier album Love and ka dance. Kassav’ plus qu’un groupe apparaît comme un concept et un moyen de promouvoir la culture antillaise.
Une carrière étroitement liée à l’épopée de Kassav’
Le collectif s’enrichit peu à peu avec d’autres artistes guadeloupéens et martiniquais, ce qui contribue à rapprocher les deux îles sœurs, la Martinique et la Guadeloupe.
La musique jouée par Kassav’ se popularise. Elle finira par s’appeler le « zouk », vocable issu du créole martiniquais désignant à la fois une danse et une fête. Le titre phare « zouk la sé sel médicament nou ni », en français : « La musique est notre seul médicament », paru en 1984 sur une composition de Jacob Desvarieux et les paroles de Georges Décimus propulse le groupe Kassav’ sur la route du succès. Le refrain aux allures festives et anodines fait allusion au malaise des îles antillaises. Selon le message véhiculé par la chanson, seule la musique peut soulager et guérir les maux. Elle permet de surmonter un passé douloureux explique Jacob Desvarieux dans divers entretiens.
Un an plus tard, à la surprise générale, Kassav’ remplit la salle du Zénith à Paris sans l’appui des médias. Le guitariste Jacob Desvarieux affiche son charisme et devient le pilier du groupe. Sa voix singulière plaît au public et son interprétation marque les esprits. Les concerts s’enchaînent ainsi que les récompenses. Le premier disque d’or de Kassav’ est obtenu en 1986. Le groupe multiplie les tournées dans le monde entier avec une prédilection pour l’Afrique en passant par le Japon, la Russie et bien sûr la Caraïbe. L’objectif de Pierre-Edouard Décimus est atteint : Kassav’ avec ses sonorités uniques où se mêlent les percussions traditionnelles, les cuivres et les synthétiseurs a acquis une dimension identitaire de stature internationale. En 2007, le groupe reçoit le Grand Prix SACEM France des Musiques du monde et traditionnelles.
Au cours des quarante années trépidantes de l’aventure Kassav’, Jacob Desvarieux, considéré comme « le père du zouk » a sorti des albums en studio comme Banzawa (1983), Gorée (1986) et il a composé pour d’autres chanteurs. Sa carrière artistique comprend une filmographie de qualité par exemple Siméon, d’Euzhan Palcy (1992), The Young Pope (2016).
Un homme de convictions, ambassadeur de la culture antillaise
Ardent défenseur de la langue créole, Jacob Desvarieux résiste aux pressions des grandes maisons de disques incitant le groupe à abandonner la musique antillaise et la langue créole. « De toutes les langues régionales qui existent en France, le créole est la langue la plus parlée » argumentait Jacob Desvarieux lors de la Journée internationale des langues créoles, en octobre 2005.
Le groupe Kassav’ a toujours chanté en créole, un créole authentique. « Nous sommes allés fouiller pour avoir du vocabulaire, en allant voir des personnes qui avaient 70 ou 80 ans », disait le musicien.
Ses admirateurs et ses proches s’accordent à saluer son talent exceptionnel, son professionnalisme et sa grande générosité. Enclin à encourager les jeunes générations d’artistes, il a organisé en 2018 un concert pour la scène d’Outre-mer, l’Outre-mer fait son Olympia. Il incitait les jeunes ultramarins « à conserver leurs spécificités ».
Les obsèques de Jacob Desvarieux se sont déroulées dans la plus stricte intimité familiale en Guadeloupe. Sa fille fut très touchée par les hommages du public. Brisant le silence, elle a déclaré : « Mes frères et moi on n’a pas énormément connu notre père personnellement, mais on a développé énormément d’amour pour lui malgré tout. »
La disparition brutale de Jacob Desvarieux n'a pas soulevé seulement de l'émotion. Des questions se posent. Trois injections du vaccin n'ont empêché ni la contamination ni le décès. Certains mettent en doute l'efficacité du vaccin notamment pour les plus fragiles. Le débat reste ouvert.
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