L’œil de Sainte Lucie est un coquillage porte-bonheur issu d’une légende. Mais savez-vous que Sainte Lucie a réellement existé ? Par ailleurs, pourrions-nous établir un lien entre la Sainte Lucie occidentale et la princesse Miao Shan qui devint la Déesse de la Miséricorde, Guanyin ?
L’œil de Sainte Lucie désigne un opercule
L’œil de Sainte Lucie désigne l’opercule naturel d’un coquillage, plus précisément d’un escargot des mers, l’astrée rugueuse, Bolma rugosa, de son nom scientifique, plus communément appelé le turbo méditerranéen. Ce mollusque doit changer son opercule lorsque sa coquille grandit. Ce coquillage est généralement récupéré dans les filets des pêcheurs professionnels, ces derniers ne récupèrent que l’opercule du coquillage et rejettent le turbo en mer, dès lors les turbos pourront poursuivre leur cycle de vie et rejeter de nouveaux opercules. Les opercules vont également échouer sur les plages méditerranéennes, on en trouve notamment en Corse, en bord de mer.
Cet opercule ressemble à un œil humain
Cet opercule calcaire a une forme ovoïde qui fait penser à un œil, il a une face plate et blanche avec une spirale brune et une face bombée, foncée, plus orangée qui peut faire penser à une oreille. Les opercules trouvés en plongée ou sur les plages sont plus usés et ont une couleur blanchâtre, contrairement à ceux récupérés par les pêcheurs en pleine mer qui sont d’un orange soutenu.
L’œil de Sainte Lucie a différentes vertus et est appelé coquillage porte- bonheur
En Corse, l’œil de Sainte Lucie est très prisé en bijouterie. On le retrouve en pendentif, collier, bracelet, bague. Il est considéré comme porteur de différentes vertus et est souvent qualifié de porte-bonheur. Il protègerait les femmes vierges et contribuerait à la paix des hommes. Il aurait des vertus sur le corps : certains disent qu’il apaise la gorge et agirait aussi sur l’esprit en éloignant le mauvais œil, soit en langue corse l’ogjhu, c’est pour ce pouvoir qu’il est surtout très connu. L’œil de Sainte Lucie éloignerait toutes les mauvaises ondes, il serait porteur de chance, certains vont même jusqu’à dire qu’il apporterait la prospérité, la richesse et la joie de vivre.
En Asie, en Chine, il existe des opercules venant de mollusques de la même famille qui sont beaucoup plus gros et plus colorés. Ils représenteraient l’œil de Shiva, symbole de protection. Ils agiraient aussi sur le corps et l’esprit. De même, ils permettraient d’éloigner le mauvais œil, les mauvaises ondes et favoriseraient la chance.
Mais, d’où viennent le nom et le pouvoir de cet opercule ? Quelles sont les légendes qui accompagnent son histoire ?
L’œil de Sainte Lucie vient d’une légende Sicilienne qui a conquis la Corse
Lucie de Syracuse dite Sainte Lucie
Sainte Lucie, de son patronyme Lucie de Syracuse, est une jeune femme, du début du IVe siècle. Elle est issue de la noblesse. Les principales traces que nous avons d’elle nous viennent entre autres d’écrits reconnus par l’église comme La Légende dorée. Cette œuvre fut écrite entre 1250 et 1280 par Jacques de Voragine. Cet ouvrage ancien fut traduit par J.B.M. Roze et préfacé par Hervé Savon en 1993, chez Flammarion.
Selon Hervé Savon, universitaire et théologien, le titre de cet ouvrage a une tout autre connotation que celle qu’il pourrait avoir actuellement. Il indique que « légende » signifierait : « ce qui doit être lu ». L’épithète « doré », ou plutôt « d’or », « annonce le poids et la valeur du contenu ». « La légende dorée » signifierait, selon Hervé Savon, « Ce qui doit être lu par la valeur de son contenu ».
Analysons la signification du prénom de cette Sainte. Lucie vient de lux en latin qui signifie lumière. Dans La Légende Dorée, Jacques de Voragine écrit « Lucie brille de l’éclat de la virginité, sans la plus petite souillure. Elle répand la chaleur sans aucun mélange d’amour impur : elle va droit à Dieu (…) ».
Le contexte historique
Lucie de Syracuse est une jeune vierge catholique très pieuse qui vécut sous l’empire Dioclétien. Il est reconnu que durant cet empire, entre 284 et 305 ap. J-C, les chrétiens furent fortement persécutés, on parle de l’une des persécutions les plus importantes de toute l’histoire de l’Empire Romain.
Lucie de Syracuse, selon La Légende Dorée de Jacques de Voragine
Au début du IVe siècle, Lucie souhaite charitablement venir en aide à sa mère atteinte depuis quatre ans d’une maladie incurable. Alors, elle décide de l’emmener à Catane, en Sicile, sur la tombe de Sainte Agathe, célèbre vierge martyre dans toute la Sicile. Lucie fait ce déplacement pour implorer la guérison de sa mère.
Les deux femmes prièrent auprès du tombeau, Lucie s’assoupit et selon Jacques de Voragine, elle « vit Agathe en rêve entourée d’anges, ornée de pierres précieuses, debout devant elle et lui disant : Ma sœur Lucie, vierge toute dévouée à Dieu, que demandez-vous de moi que vous ne puissiez vous-même obtenir à l’instant pour votre mère ? Car elle vient d’être guérie par votre foi ».
Lucie en s’éveillant dit alors à sa mère : « Mère, vous êtes guérie. Or, je vous conjure, au nom de celle qui vient d’obtenir votre guérison par ses prières, de ne pas me chercher d’époux. Mais, tout ce que vous deviez me donner en dot, distribuez-le aux pauvres ».
Lucie humble de nature, alors que bien-née, dévote, voulut offrir aux plus démunis l’héritage qui lui revenait de son père défunt, ce que sa mère n’accepta pas tout de suite, lui disant qu’elle en disposerait à sa mort. Lucie lui aurait dit alors : « En mourant, si vous donnez quelque chose c’est parce que vous ne pouvez l’emporter avec vous : donnez-le-moi tandis que vous êtes en vie, et vous en serez récompensée ». La mère aurait alors acquiescé.
Lucie avait cependant un fiancé, ce prétendant n’acceptait ni son vœu de chasteté, ni de la voir dilapider une fortune qu’il convoitait. Il alla la dénoncer auprès du consul Pascasius, en l’accusant, selon Jacques de Voragine, « d’être chrétienne et de violer les édits des Césars ».
Elle fut entendue, martyrisée et l’accepta sans aucune crainte. Sereine, elle avait une foi inébranlable, lors d’échanges houleux, elle gardait sa verve : elle restait ferme et droite, ne cédant pas aux menaces. Alors qu’elle aurait dû être dans l’incapacité de parler, car une épée lui traversait la gorge, elle aurait annoncé au consul, sa perte ainsi que celle de ces deux terribles empereurs. « Je vous annonce », dit-elle, « que la paix est rendue à l’Église, car Maximien vient de mourir aujourd’hui, et Dioclétien est chassé de son royaume. Et de même que ma sœur Agathe a été établie la protectrice de la ville de Catane, de même j’ai été établie la gardienne de Syracuse ». Les ministres seraient venus en même temps qu’elle prononçait ces mots, chercher Pascasius, car César aurait appris que Pascasius avait pillé toute la province. Arrivé à Rome, il dut comparaitre devant le Sénat et fut condamné à la peine capitale.
On comprend dès lors que ces êtres corrompus recevaient la sentence divine des outrages qu’ils avaient commis.
Quelques variantes de la légende de Sainte Lucie
Lucie de Syracuse, selon la légende répandue en Corse, après la guérison miraculeuse de sa mère fit également vœu de chasteté et voulut se déposséder de tous ses biens. Cependant dans la légende répandue en Corse, Sainte Lucie s’arrache les yeux.
Dans une autre version, pour éloigner tous les prétendants de la noblesse qui la convoitaient, elle aurait jeté ses yeux à la mer en les offrant à la vierge Marie. De cette façon, elle ne pourrait se détourner de sa foi.
Une dernière version mentionne qu’elle se les serait arrachés et les aurait offerts à son fiancé sur un plateau.
Dans ces deux versions, la vierge touchée, lui rendit la vue et lui offrit de plus beaux yeux encore. La vierge aurait également envoyé tous ces opercules sur la plage, en symbole des yeux de Sainte Lucie.
Sainte Lucie se serait entièrement consacrée à prier et à venir en aide aux autres, elle aurait même réalisé de nombreux miracles de tous genres. Elle est fréquemment invoquée pour soigner les maladies oculaires.
La légende de Guanyin
La légende de Guanyin a de nombreuses similitudes avec celle de Sainte Lucie.
Miao-Shan, fille de roi
L’une des légendes les plus connues est celle de la princesse Miao-Shan, fille du roi Miao Zhuang qui régnait sur le royaume de Chu sous la Dynastie du Ciel d’Or. Roi qui vint au pouvoir après trois années de guerre incessantes, il s’avérait être impitoyable, féru de pouvoir, autoritaire. De plus, il n’avait aucun respect pour les croyances, notamment celles de ses proches.
Ce roi voulait par-dessus tout un héritier. Cependant, pour le punir de son mauvais comportement, les Dieux ne lui permirent pas d’avoir un héritier mâle, mais trois belles héritières. Il fallait donc pour lui que ses filles épousent un bon parti. Il est dit que la dernière de ses filles, le jour de sa naissance, avait un beau visage radieux, il y vit un signe de bon augure et l’appela Miao Shan qui signifie « admirable vertu », ce qu’elle eut.
Cette dernière était souriante, compatissante, elle offrait un bel exemple de générosité et d’humilité. Lorsqu’elle fut en âge de se marier, elle récusa l’idée et annonça qu’elle voulait se retirer et embrasser la vie religieuse. Elle souhaitait devenir une nonne bouddhiste, suivre la voie de la sagesse, s’améliorer par la cultivation spirituelle, son souhait était d’apporter le salut au monde.
Le roi, à qui personne ne résistait en temps normal était furieux de l’entêtement de sa fille. Il la bannit du palais, la déposséda de toute richesse, la vêtit de haillons et l’envoya vivre dans les jardins de la reine, en la chargeant d’accomplir seule toutes les besognes nécessaires. Elle acquiesça à son sort sans rechigner.
Elle voulait absolument s’exiler, le roi la laissa rejoindre le monastère de l’Oiseau Blanc et ordonna, par édit royal à la bonzesse Sœur Chen, de la charger des tâches les plus difficiles pour la dissuader de suivre cette voie. Elle supporta sans se plaindre la charge de travail qui lui était impartie, aucune autre bonzesse n’aurait pu la supporter. Devant tant de piété, l’Empereur de Jade, envoya des esprits l’aider. Le roi, excédé que sa fille ne renonce à sa foi, la fit ramener au palais, fit brûler le monastère. Comme elle lui résistait, il la condamna à être exécutée pour désobéissance au Roi Miao.
Aucune lance, ni épée ne parvinrent à l’endommager. Les versions diffèrent, certaines parlent d’un tigre qui se serait emparé d’elle et l’aurait emmenée dans la forêt, ce tigre pourrait bien être Tudi Gong ou le Seigneur de la Terre, dans la philosophie Taoïste. Il joue un rôle crucial en tant que gardien et défenseur du domaine terrestre.
Le Roi Miao Zhuang malade
Le roi se meurt d’un mal incurable, aucun médecin ne sait soigner son mal, ni ne trouve de remède efficace.
Un moine dit avoir la recette du remède divin qui sauverait le roi. Elle se compose des bras et des yeux d’une personne pure disposée à les donner. Le roi fut catastrophé, car il pensait succomber à sa maladie. Mais le moine lui dit connaître une telle personne dans son royaume, une Bodhisattva de la Compassion qui pourrait être disposée à l’aider. Miao Shan était cette personne, elle accepta par compassion et par piété filiale.
Miao Shan devînt Guanyin
Le roi guéri voulut remercier en personne celle qui fit ce sacrifice pour lui. Arrivé au Mont, il reconnut sa fille, il eut profondément honte et prit conscience de tout le mal qu'il lui avait fait subir ainsi qu’à son peuple. Il implora les Cieux de rendre la vue et les bras à sa fille. Par son sacrifice, elle permit à son père d’ouvrir son cœur.
Il est dit que Miao Shan disparut puis réapparut transformée en Déesse de la Miséricorde, les bras et yeux restaurés. Par sa cultivation, elle devint une Bodhisattva de la Compassion, la Bodhisattva Guanyin, la déesse aux mille bras et aux mille yeux.
Deux légendes similaires, l’une vient d’Europe et l’autre d’Asie
Deux jeunes femmes reconnues par le Ciel, forgées de compassion, l’une devient une Sainte chez les catholiques et l’autre une Bodhisattva chez les bouddhistes. Deux femmes qui se consacrent aux autres, qui réalisent des miracles.
Deux jeunes femmes issues de la noblesse
Lucie de Syracuse est une jeune femme noble issue d’une riche famille sicilienne. Miao Shan est une princesse, fille de roi.
Deux jeunes femmes très pieuses
Ces deux jeunes femmes sont résolument pieuses et rien ne peut les détourner de leur foi, de leur voie de cultivation. Aucune autorité ne peut les éloigner de leur foi et de leurs convictions religieuses. Ni son fiancé ni même le consul pour Lucie, ni son père le roi impitoyable, qui fait preuve d’une double autorité, en tant que père et roi, pour Miao Shan.
Deux jeunes femmes voulant garder leur virginité, se refusant au mariage
Elles font vœu de chasteté pour rester pures, Lucie voulant se consacrer au Christ, Miao Shan voulant méditer, vivre en recluse pour s’élever. Ces deux jeunes femmes le font dans le but de s’élever et de sauver les êtres.
Deux jeunes femmes qui sacrifient par pure compassion une partie de leur corps
Dans la légende Corse, Lucie offre ses yeux à son fiancé pour qu’il comprenne qu’elle ne veut pas se détourner de sa foi. Miao Shan offre ses bras et ses yeux pour sauver son père d’une maladie qui représente tous ses péchés passés, dus à son manque de cœur.
Deux jeunes femmes miséricordieuses
Deux femmes pleines de compassion, Lucie pour sa mère qu’elle cherche à sauver. Miao Shan pour son père qui l’a tant fait souffrir, elle se sacrifie pour lui sauver la vie. Il est touché par tant de compassion et prend conscience du mal qu’il a occasionné, il est dès lors sauvé. Elles n’ont aucune rancune en elle, elles savent pardonner. Lucie tient tête au consul et cherche à le clarifier, mais son cœur reste froid, il n’est pas capable d’entendre, trop pris par sa cupidité et son besoin d’asseoir son pouvoir, son autorité, qu’il perdra néanmoins. Il doit endosser les conséquences de ses actes inhumains.
L’œil de Sainte Lucie, simple opercule porteur de chance, a pu permettre ce voyage vers ces deux jeunes femmes, devenues Sainte et Bodhisattva, qui ont été guidées toute leur vie par la compassion et la volonté de sauver les autres.
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