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Société. Comment se sont construits les dictateurs du XXe siècle

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Quels furent l’enfance et le parcours des dictateurs les plus connus du XXe siècle ? Y a-t-il un terreau favorable qui mène jusqu’au pouvoir tyrannique sur un pays ? Il y aurait encore actuellement une soixantaine de pays au monde, sous l’emprise d’un dictateur.

L’enfance de deux monstrueux dictateurs russes 

Lénine, qui prit le pouvoir en Russie lors de la révolution d’Octobre en 1917, fut celui qui ouvrit la voie à tous les régimes totalitaires du XXe siècle. Pourtant l’enfance de Lénine fut plutôt heureuse dans une famille aisée, mais il était une source d’épuisement pour ses parents et enseignants. Il était connu pour son comportement turbulent, courant sans cesse, et selon sa sœur aînée, ses chutes fréquentes et ses coups à la tête. Il aimait les jeux bruyants et dangereux et détruisait souvent ses propres jouets. Il aimait aussi commander les autres enfants et les taquiner, voire les torturer psychologiquement. En grandissant, Lénine révéla de méchants traits de caractère dans ses relations avec son entourage. 

Néanmoins il aurait été, dans ses études, un élève travailleur et ordonné. À la fin de sa scolarité, un événement tragique dans sa famille allait bouleverser sa vie : son frère aîné Alexandre fut exécuté pour avoir planifié l’assassinat du tsar. Cet événement mit brusquement fin au cours insouciant de la jeunesse de Lénine, le plaçant à jamais sur la voie de la lutte contre le régime tsariste, une voie qui avait déjà commencé lors de ses études à l’Université de Kazan. 

Comment se sont construits les dictateurs du XXe siècle
Il fut celui qui ouvrit la voie à tous les régimes totalitaires du XXe siècle. (Image : wikimedia / Trailer screenshot / Domaine public)

Contrairement à Lénine, l’enfance de Staline fut éprouvante. Il est né de parents sans fortune, dans un petit village de Géorgie en 1879, région particulièrement pauvre de l’empire russe. Sa mère perdit trois de ses enfants à la naissance. Il fut le seul survivant. Son père était cordonnier, et malheureusement alcoolique. L’atmosphère familiale était rude, sans chaleur. L’argent manquait. Staline n’était pas un adolescent facile. Il subit pendant plusieurs années les violentes colères de son père qui se terminaient souvent par des coups. 

Sa mère accordait à la religion une grande place dans sa vie quotidienne. En 1890, elle envoya son fils dans une école pour le préparer au séminaire. Les témoignages de quelques camarades de classe étaient unanimes : Staline travaillait avec application et sérieux. Cela lui permit d’entrer au séminaire de Tbilissi, la capitale de Géorgie, où il resta 4 ans. 

Staline lisait beaucoup, mais pas les lectures que les maîtres recommandaient. Il s’intéressait à la philosophie, à la politique, aux romans du patriotisme géorgien. De nouvelles idées politiques venant d’Occident pénétraient peu à peu l’empire russe : socialisme, marxisme. Clandestinement, il organisa un groupe de pensionnaires qui adhéraient comme lui au socialisme. Ses activités secrètes furent un jour découvertes par un professeur. Il fut sanctionné. Rompant totalement avec la religion, il ne se présenta pas aux examens de fin d’année, ce qui l’exclut définitivement du séminaire. Il commença alors sa carrière de révolutionnaire et se fit arrêter et emprisonner à plusieurs reprises pour des braquages de banques sanglants au profit du Parti ou d’autres méfaits. Quand la Russie bascula dans la tourmente de 1917, il suivit Lénine qui l’avait remarqué. Staline fut responsable de la mort de millions de Soviétiques entre 1924 et 1953.

La famille déstructurée ou abandonnée

Les premières années d’Hitler, né en 1889, lui forgèrent une personnalité marquée par les échecs et les contrariétés. Il fut battu par son père, douanier de profession, alcoolique et débauché. Sa généalogie familiale était scabreuse avec des relations de consanguinité. Adolf Hitler était un enfant turbulent et querelleur. Son père le matait à coups de canne, surtout après avoir abusé d’alcool. Hitler n’avait pas d’affection pour son père. Par contre sa mère dévouée le choya durant toute son enfance et ce fut sans doute la seule personne qu’il aima. Jusqu’en 1945, il porta toujours sur lui une photo de sa mère. 

Comment se sont construits les dictateurs du XXe siècle
Ses premières années lui forgèrent une personnalité marquée par les échecs et les contrariétés. (Image : wikimedia / Trailer screenshot / Domaine public)

Il se désintéressait des études et quitta le collège sans diplômes. Sa seule perspective était de devenir peintre. Depuis l’adolescence, il se passionnait pour le dessin et la peinture et voulait en faire son métier. Son père souhaitait qu’il devienne fonctionnaire mais à la mort de celui-ci en 1903, le champ fut libre pour devenir un grand artiste. Confronté à la réalité, le rêve se changea en cauchemar, car il était peu enclin au travail et il n’était pas prêt pour passer l’examen d’entrée de la prestigieuse académie des Beaux-Arts. Il échoua à l’examen. Peu de temps après, il apprit que sa mère était atteinte d’un cancer, dont elle mourut en 1907. 

D’autres dictateurs eurent une enfance chaotique où purent se développer des blessures narcissiques, de la paranoïa, etc. Il y a un désir de revanche ou de vengeance, qui est présent chez tous les futurs dictateurs. Bien sûr, un autre facteur, souvent présent dans leurs jeunes années, est la violence. En Afrique, Idi Amin Dada fut un dictateur sanguinaire en Ouganda de 1971 à 1979. Son père était un tueur et l’abandonna à l’âge de six ou sept ans. Ce sont des aspects de l’enfance des tyrans que souligne Vincent Hugeux, journaliste spécialiste de l’Afrique, auteur du livre Tyrans d’Afrique : Les mystères du despotisme postcolonial

Les dictateurs africains de la période post-coloniale

Amin Dada, tout comme Jean-Bedel Bokassa, président de Centrafrique, et Gnassingbé Eyadéma, président du Togo, se sont construits une légende basée sur leur héroïsme face au joug colonial. Comme d’autres dictateurs africains, ils ont pourtant profité de l’armée coloniale en y commençant leur carrière militaire et comme tremplin vers leur accession au pouvoir. 

Les circonstances sont, elles aussi, importantes. Il y a bien souvent une conjonction entre l’aversion envers un système politique et la revanche personnelle. L’exemple de Mouamar Kadhafi est révélateur, selon Vincent Hugeux. D’un côté, il y avait l’usure du pouvoir monarchique du roi Idriss, inféodé aux Occidentaux, ainsi que la montée en puissance de Gamal Abdel Nasser l’Égyptien, dont Kadhafi était un admirateur, et qui renversa la monarchie égyptienne et apparut comme le précurseur du nationalisme arabe. De l’autre côté, il y avait Kadhafi, né sous une guitoune en peau de chèvre dans une famille de bédouins, qui prit sa revanche sociale. Car au lycée avec ses copains bédouins, il fut fréquemment confronté au mépris des fils de la bourgeoisie côtière. Vincent Hugeux affirme : « Vous avez chez lui la fusion entre ces deux rancœurs, ces deux ressentiments et c’est là à mon sens qu’il y a une différence entre l’individu lambda et ces personnages... ».

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Il y a bien souvent une conjonction entre l’aversion envers un système politique et la revanche personnelle. (Image : wikimedia / Trailer screenshot / Domaine public)

Sur le continent africain, de nombreux dictateurs se sont imposés à leur pays dans la période postcoloniale. Il y a eu globalement deux situations différentes d’accès au pouvoir, comme le dit Vincent Hugeux : « Il y a celui qui "sent" le moment historique, la brèche qui s’ouvre et qui s’y engouffre, il a l’audace que d’autres n’ont pas. Donc c’est le coup d’État, ourdi avec plus ou moins de méthode (...) mais mu par un projet politique. Et puis n’oublions pas qu’il y a la transition consentie par les ex-puissances coloniales. N’oublions pas qu’un Bokassa (...) est un ancien de l’Indochine et de l’Algérie, tout comme Eyadema le togolais (...) la transmission à ces anciens de l’armée sous le drapeau bleu-blanc-rouge, c’est une garantie de perpétuation d’une emprise politique, diplomatique ou économique et énergétique. Donc il y a un autre mode d’accès au pouvoir pour ceux qui se révèleront ensuite des tyrans parfois infâmes, c’est la complicité objective, qu’elle soit pensée ou simplement accidentelle, de l’ancienne puissance coloniale ».

L’idéologie est essentielle pour le maintien au pouvoir du dictateur

Mao fut responsable de dizaines de millions de morts, principalement dues à la guerre de « libération » pour implanter le pouvoir communiste en Chine, à la Grande famine des années 1950 (conséquence de l’absurde Grand Bond en avant), à la Révolution culturelle et à de récurrentes campagnes de persécution pour maintenir un climat de terreur et de soumission. On a peu d’informations sur l’enfance et l’adolescence de Mao. Il était fils d’un riche paysan et fut marié d’office à quatorze ans, comme le voulait la tradition. Mais sa jeune épouse meurt au bout d’un an, alors Mao quitte son village et entreprend des études dans la capitale de sa région.

Autre dictateur de la Chine communiste, pervers et criminel, président de 1993 à 2003, Jiang Zemin est l’initiateur et l’organisateur en juillet 1999 de la persécution cruelle des disciples de Falun Dafa (appelé aussi Falun Gong), méthode spirituelle basée sur le principe Authenticité-Bienveillance-Tolérance, très populaire en Chine dans les années 1990, qui se pratique maintenant dans de nombreux pays. Jiang Zemin a trompé le monde entier en cachant et niant toujours cette persécution extrêmement violente, qui a pourtant mobilisé les moyens les plus colossaux de la nation chinoise, sans parvenir à éliminer cette magnifique discipline spirituelle. La persécution continue encore aujourd’hui, allant jusqu’aux prélèvements forcés d’organes sur les pratiquants de Falun Gong emprisonnés.  

Ce qui est commun à ces personnages, c’est un violent ressentiment envers d’autres personnes, ou envers des situations, des événements qu’ils ne peuvent accepter. Il y a des hommes révoltés et il y a des idées nouvelles, l’idéologie est fondamentale pour les dictateurs. C’est une vision totalitaire du monde, une sorte de cercle magique qui semble avoir la réponse à tous les problèmes. 

Comment se sont construits les dictateurs du XXe siècle
Ce qui est commun à ces personnages, c’est un violent ressentiment envers d’autres personnes, ou des situations, des événements qu’ils ne peuvent accepter. (Image : wikimedia / Trailer screenshot / Domaine public)

Stéphane Courtois, historien, auteur de : Le livre noir du communisme, affirme que Lénine est l’inventeur du parti des révolutionnaires professionnels : « Il faut bien voir que la prise de pouvoir par les bolcheviques le 7 novembre 1917 et puis leur installation et leur stabilisation au pouvoir c’est une incroyable "success story" que tous les autres vont regarder, Mussolini le premier. » Mussolini venait de l’extrême gauche italienne, il devint nationaliste durant la première guerre mondiale et quand il vit cet homme inconnu, Lénine, s’emparer du pouvoir aussi rapidement en Russie, cela lui donna des idées. Il créa le Parti national fasciste qui mit plusieurs années à s’imposer. « Un parti de révolutionnaires professionnels se désintéresse de représenter la société, ce n’est pas son problème, l’important est de défendre les intérêts du parti. Il faut quand même rappeler que le modèle de Hitler, c’est Mussolini » indique encore Stéphane Courtois.

Le syndrome de la purge perpétuelle

Un des facteurs communs à beaucoup de ces dictateurs, c’est d’être issus d’une minorité, sociale, politique, ethnique, religieuse, etc. L’ex-dictateur Bachar al-Assad ou son père Hafez sont de confession alaouite (sorte de dissidence du chiisme) qui représente seulement 5 à 7 % de la population syrienne dans un pays majoritairement sunnite. Selon Vincent Hugeux, la conscience de représenter une minorité dans le pays conduit ces dictateurs à une forme de paranoïa, qui n’est pas seulement psychologique mais aussi instrumentale. Le dictateur roumain Nicolae Ceausescu imposait régulièrement des purges au niveau de la haute administration et de l’armée, sous couvert d’accusations complètement imaginaires. « C’était une manière d’asseoir et de perpétuer un pouvoir dont ils avaient conscience du socle fragile » souligne Vincent Hugeux.

Bien souvent c’est un coup d’État ou un fait politique majeur qui permet l’accession au pouvoir d’un dictateur dans un pays, mais comme l’explique le sinologue Jean-Philippe Béja, en Chine cela se passe différemment. L’appareil communiste, qui est en lui-même une dictature, est aussi pyramidal et facilite l’accession au pouvoir de ces individus sans scrupules. Pour accéder au sommet, tous les coups sont permis, et Mao le démontra très clairement. Mao commença à affiner sa technique de prise de pouvoir dès 1930 par des purges sur l’ensemble de ses camarades, ce qui lui permit de se protéger et de régner par la terreur et par des méthodes perverses. Au début, Mao n’était pas avec les dirigeants du PCC, qui s’étaient établis à Shangaï. Lui était dans une région isolée de la Chine avec son armée et pour devenir le chef de cette base libérée, il fut d’une violence extrême envers les autres communistes.

Comment se sont construits les dictateurs du XXe siècle
Les dictateurs peuvent-ils être conscients de toute la souffrance qu’ils engendrent par leur injustice ?(Image : wikimedia / Trailer screenshot / Domaine public)

La propagande et la réhabilitation

Dans tous les régimes totalitaires, le mensonge est nécessaire autant que la violence et la peur, pour que perdure le système. Le mensonge est à la base de la propagande dans les dictatures. La propagande a eu d’abord comme support les journaux, puis la radio, la télévision. Elle s’appuie, aujourd’hui bien sûr, sur les réseaux sociaux. Cette propagande dans les dictatures se caractérise, en partie, par le gommage ou la transformation de l’histoire passée des dictateurs. Il y a cette capacité à gommer ce qui a été leur véritable enfance. Quand ils sont au sommet et qu’ils ont stabilisé leur pouvoir, cette propagande devient culte de la personnalité avec des stéréotypes récurrents, comme par exemple l’homme sur un cheval au galop ou des jeunes filles avec des fleurs chantant à la gloire du tyran.

La puissance médiatique des réseaux dits sociaux contribue aussi à une entreprise de réhabilitation des tyrans disparus. Selon Vincent Hugeux, le dictateur guinéen Ahmed Sékou Touré a fait mourir des dizaines de milliers de gens qui étaient prétendument comploteurs, dans le camp Boiro au cœur de la capitale Conakry, au moyen de la « diète noire » c’est-à-dire, en ne donnant ni boisson ni nourriture. Pourtant des membres de l’intelligencia africaine aujourd’hui tentent de réhabiliter ce personnage.

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