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Société. Construire la paix au cœur de la violence et des conflits

TENDANCE > Société

Est-il possible de résoudre les conflits actuellement sur notre planète et de construire la paix durablement ? Il y a des exemples marquants d'îlots de paix dans des régions en guerre. La bonne méthode serait de commencer à la base, localement, avec une connaissance approfondie des gens, de leur culture et de tout ce qui a pu contribuer à la naissance des conflits.

Séverine Autesserre, auteur de livres sur l'aide humanitaire dans les conflits, a vécu des réalités de terrain et nous transmet un témoignage porteur d'espoir. Elle a d'abord travaillé durant plusieurs années pour des agences humanitaires et de développement en Afghanistan, au Kosovo, en République démocratique du Congo, au Nicaragua et en Inde. Elle est maintenant chercheuse et professeure de science politique aux États-Unis.

Une histoire révélatrice des différences dans la manière de résoudre les conflits

Lucas était un petit garçon au Congo en 2004, qui fut kidnappé et enrôlé de force dans un groupe de rebelles armés. Il était si petit qu'il ne pouvait pas porter de fusil. Alors, dans les actions des rebelles, il était placé en première ligne pour servir de bouclier humain. Par miracle, il a survécu et, après trois ans, il fut renvoyé à sa mère, Justine.

Lucas eut beaucoup de difficultés à reprendre une vie normale d'enfant. Il détestait l'école. Il avait souvent faim car sa mère manquait de moyens. Ces chefs lui avaient toujours dit que seule la violence lui permettrait de survivre et il s'enfuyait souvent pour rejoindre son groupe armé. À huit ans, il se sentait en sécurité seulement quand il avait une arme entre les mains.

Lucas se sentait en sécurité seulement avec une arme entre les mains. (Image : wikimedia / United States Army Africa / Domaine public)

Vidjia Tako, une jeune ado des USA, travaillait pour des organisations internationales qui s'intéressaient de près à la République démocratique du Congo. Vidjia n'était pas d'accord avec l'approche habituelle de ses collègues pour résoudre les conflits. L'approche était centrée sur les élites du Congo et de la sphère internationale et s'appuyait sur les compétences d'experts ne connaissant pas grand-chose du Congo. Le résultat était souvent contre-productif et finissait par nuire aux populations. Comme, par exemple, faire adopter de nouvelles lois sur l'extraction des minerais qui allaient induire du chômage chez les hommes jeunes et leur recours aux armes à nouveau et à la violence pour survivre.

Vidjia entreprit une autre approche. Elle demanda à tous les habitants d'un village (celui où habitaient Justine et Lucas) ce qui, selon eux, pourrait mener à la paix. Au cours de longues réunions, les habitants purent développer leur propre analyse des conflits de leur communauté et décider eux-mêmes quelles réponses y apporter. La première réponse fut que Vidjia et ses collègues donnent 35€ à certaines femmes du village pour qu'elles puissent entreprendre de petites activités génératrices de revenus, telles qu'un atelier de couture ou une échoppe de beignets.

Ces petites entreprises fonctionnèrent bien et les participantes passèrent à la deuxième étape. Elles installèrent des robinets d'eau potable et elles organisèrent des formations pour apprendre aux enseignants à réduire les tensions ethniques. Elles avaient aussi convaincu les autorités locales de leur apporter de meilleurs services et une protection plus fiable.

Les participantes au projet organisèrent des formations pour apprendre aux enseignants à réduire les tensions ethniques. (Image : wikimedia / MONUSCO Photos / CC BY-SA 2.0)

La plupart des villageois retrouvèrent une bien meilleure santé et se sentirent nettement plus en sécurité. Lucas avait maintenant à manger trois fois par jour et il avait de bonnes chaussures, non trouées, aux pieds. Mais surtout, il admirait maintenant des adultes qui n'utilisaient pas la violence pour s'imposer et survivre. Lors de ses treize ans, Lucas se mit à parler au futur, élaborant des projets pacifiques au sein de sa communauté. Justine dit à Vidjia : « Mon fils veut maintenant tenir un crayon plutôt qu'un fusil ».

Vidjia n'en resta pas là et fonda le réseau Resolve, qui utilisa cette même approche pour aider plus de 8 000 personnes en une décennie. C'étaient des gens susceptibles d'être recrutés par des milices armées, la moitié étaient d'anciens combattants comme Lucas. La pression pour s'enrôler était énorme, et pourtant une seule personne sur les 8 000 du programme Resolve, reprit les armes.

Rétablir la paix est une tâche cruciale pour de nombreuses nations

Il y aurait deux milliards de personnes sous la menace quotidienne de violence dans plus d'une cinquantaine de zones de conflit dans le monde, selon Séverine Autesserre. Promouvoir la paix est un enjeu crucial pour de nombreuses nations, que ce soit avant, pendant ou après un conflit armé. Le problème est que les techniques habituelles pour rétablir la paix, le plus souvent, ne fonctionnent pas. Casques bleus, cessez-le-feu, accords de paix, élections : la presse fait les gros titres sur la paix retrouvée. Mais un peu plus tard, la violence éclate à nouveau (avait-elle vraiment cessé ?) et continue pendant des années. La moitié des guerres dans le monde durent depuis plus de 20 ans.

Une seule personne sur les 8 000 du programme Resolve au Congo reprit les armes. (Image : wikimedia / L. Rose / Domaine public)

La façon standard de rétablir la paix, que Séverine Autesserre appelle ironiquement « Paix et Compagnie », s'appuie avant tout sur les élites nationales et sur des intervenants étrangers et exclut les populations locales. Le Congo est un pays convoité pour sa richesse en minerais et métaux rares indispensables à l'industrie mondiale, tels que le cuivre, le cobalt, le zinc, le lithium, le coltan, etc. La Chine y est très présente et active économiquement et 80 % des exportations congolaises du secteur minier sont à destination de la Chine. Quelle est la part de responsabilité du Parti communiste chinois, qui a une longue histoire chargée de violence, de corruption et de violation des droits humains, dans la situation humanitaire désastreuse au Congo ?

Construire la paix ne requiert pas obligatoirement des millions d'euros d'aide et des interventions internationales massives. « Une paix réelle et durable exige de donner le pouvoir aux citoyens ordinaires », explique Séverine Autesserre. « les exemples de réussite de la construction de la paix lors de ces dernières années (…) ont tous en commun d'être des initiatives menées par les populations locales (…) parfois soutenues par des instances étrangères telles que les Casques bleus des Nations Unies ». 

Idjwi, l'île de la paix au Congo

Depuis 30 ans, l'un des conflits les plus meurtriers (des millions de personnes tuées) fait rage autour d'Idjwi. Néanmoins, cette belle île du lac Kivu, située entre le Congo et le Rwanda, est restée préservée de la guerre. Pourtant, tous les éléments sont là pour déclencher la violence et des conflits généralisés comme dans les régions autour : l'exploitation de minerais précieux, la quasi- absence des services publics nationaux, des conflits ethniques et locaux autour d'enjeux fonciers et de pouvoir.

La paix est là, durable, grâce à l'action quotidienne de tous les citoyens, jusqu'aux plus faibles et aux plus pauvres. Ce n'est pas l'armée ou la police qui y parviennent, ni les intervenants étrangers, mais ce sont les habitants eux-mêmes.

La paix est là, durable, grâce à l'action quotidienne de tous les citoyens jusqu'aux plus vulnérables. (Image : wikimedia / Esther N’sapu / CC BY-SA 4.0)

« Ils ont créé ce qu'ils appellent une culture de la paix, ils se sont organisés dans de nombreuses structures et associations locales qui les aident à prévenir la violence et ils s'appuient aussi sur des croyances extrêmement fortes qui empêchent la violence, que celles-ci viennent de l'extérieur ou de l'intérieur. » témoigne Séverine Autesserre « Par exemple, la plupart des familles de l'île sont liées entre elles par des pactes de sang qui sont des promesses traditionnelles entre deux groupes de personnes s'engageant à ne jamais se faire de mal ».

L'île d'Idjwi nous prouve que les communautés locales peuvent construire la paix beaucoup plus efficacement et durablement que des intervenants externes conventionnels. Cependant, les intervenants d'autres pays peuvent aussi avoir un rôle positif à jouer et peuvent soutenir ce processus de construction de la paix par la base, avec les habitants des régions en conflit.

Violence et pauvreté en Somalie, paix et développement au Somaliland

La Somalie est le deuxième pays le plus pauvre au monde, gouverné par un régime extrêmement violent et corrompu. Dans les années 1980-1990, une région autonome, le Somaliland, au nord de la Somalie, est entrée dans une guerre d'indépendance très meurtrière. 90 % des villes ont été détruites dans cette région et certaines n'ont pas encore été complètement reconstruites. Néanmoins, le Somaliland, dont l'indépendance autoproclamée en 1991 n'a pas été reconnue par la communauté internationale, n'a connu que très peu de violence ou de terrorisme depuis 25 ans, alors que la situation était à l'opposé en Somalie. Le Somaliland a maintenant un régime démocratique assez stable et des services publics décents.

Le Somaliland n'a connu que très peu de violence ou de terrorisme depuis 25 ans. (Image : wikimedia / derivative work: rowanwindwhistler / CC BY-SA 4.0)

Les raisons sont nombreuses pour expliquer cette différence entre la Somalie et le Somaliland. Selon Séverine Autesserre, la principale raison est l'échec des standards de rétablissement de la paix par « Paix et Compagnie » en Somalie. Ces standards sont axés sur les élites gouvernementales et menés par des intervenants étrangers. Quand un gouvernement corrompu et irrespectueux de son peuple reçoit des aides humanitaires de la communauté internationale, que va-t-il en faire ?

Au Somaliland, la paix s'est construite et s'est maintenue grâce aux initiatives des citoyens ordinaires et des responsables locaux. Cela montre, là aussi, que les initiatives de paix commençant au niveau local ont toutes les chances de réussir et même de se propager à l'échelle d'un pays entier.

Construire la paix en Amérique du Nord ou en Europe

Les violences de toutes sortes ne cessent d'augmenter dans les pays occidentaux. Même si le niveau de violence n'atteint pas celui du Congo ou de la Somalie, nous devrions prendre exemple sur les « cultures de la paix » qui se sont construites dans ces pays ou à leurs frontières.

Dans les pays occidentaux, où la violence s'accroît, nous devrions prendre exemple sur « les cultures de la paix » qui redonnent espoir dans des pays en guerre. (Image : wikimedia / Payton Chung from Chicago / USA, CC BY 2.0)

À Chicago, un groupe de femmes ne pouvait plus supporter de voir autant de sang couler dans leur quartier. Elles ont décidé de s'installer aux coins des rues, passant des heures et des heures assises sur des chaises pliantes. À Chicago comme ailleurs, personne n'a particulièrement envie de tuer quelqu'un sous les yeux de sa propre mère. Ainsi, le nombre de fusillades et de tueries a fortement diminué dans leur quartier.

Selon Séverine Autesserre, il y a un point essentiel pour réussir à rétablir la paix dans une région : c'est de restaurer la communication avec ses « ennemis », de quelque manière que ce soit. Écouter et comprendre, se parler et se retrouver autour d'un intérêt commun est la clé indispensable pour commencer à construire la paix.

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