En avril 1975, l’armée de Khmers rouges de Pol Pot envahit Phnom Pen et le Cambodge. La famille de la petite Loung doit fuir la capitale et changera souvent de lieu, au cours des quatre années suivantes, pour espérer avoir une chance de survie. Durant cette terrifiante période, environ un quart de la population cambodgienne a été tuée ou massacrée. Le récit de Loung Ung reflète ce qu’ont enduré des millions de cambodgiens.
Phnom Penh et la famille Ung
La famille de Loung habite un appartement du centre de Phnom Penh. La ville entière est comme un énorme embouteillage.
Les parents de Loung s’appellent Sem Im et Ay Choung. Loung est heureuse dans sa famille unie.
« Si maman est connue pour sa beauté, papa est aimé pour son cœur généreux. (..)
Ce que j’aime par-dessus tout, c’est sa façon de sourire : pas seulement avec la bouche mais aussi avec les yeux. »
« Papa est policier. Il a quatre galons sur son uniforme, ce qui signifie qu’il est bien payé. (…
Le plus âgé de mes frères, Meng, a dix-huit ans, il adore ses petits frères et sœurs. (..)
Khouy, en revanche, est le frère dont nous avons peur. A seize ans, Khouy s’intéresse davantage aux filles et au karaté qu’aux livres. (..)
A quatorze ans, ma sœur ainée Keav est déjà belle. (..)
Mon frère Kim, dont le nom signifie " or " en chinois, a dix ans. Maman l’a surnommé " petit singe " parce qu’il est petit et agile et qu’il court très vite. (..)
Ma sœur Chou, de trois ans mon ainée, est tout le contraire de moi. A huit ans, elle est calme, timide et obéissante. »
« Je suis la suivante. Presque tous mes frères et sœurs trouvent que je suis trop gâtée et indisciplinée, mais papa dit qu’en vérité je suis un diamant brut. Papa est un fervent bouddhiste. (..) quand je suis née, il a vu autour de moi une aura rouge vif, ce qui signifiait que je serais passionnée. (..)
Geak a trois ans. Tout le monde s’accorde à dire que tout ce qu’elle fait est adorable, y compris quand elle bave. »
La prise de pouvoir des Khmers rouges et l’exode forcé des citadins
Loung entend un grondement de moteurs au loin, et s’arrête de jouer.
Quelques minutes après, de vieux camions couverts de boue passent lentement en cahotant et en grinçant.
« Je monte en courant à l’appartement. Papa, assis sur le balcon, observe l’agitation de la rue. Je grimpe sur ses genoux : Papa, qui sont ces hommes ? Pourquoi tout le monde les applaudit ?
- Ce sont des soldats, et les gens les acclament parce que la guerre est finie, dit-il calmement.
- Qu’est-ce qu’ils veulent ?
- Nous, répond papa simplement. »
Partout, la foule acclame l’arrivée de ces hommes étranges. Tout excitée, Loung pousse aussi des vivats en agitant la main, en proie à une joie inexplicable. Quand Loung rentre à la maison, elle ne comprend pas, tout le monde se prépare en hâte à quitter Phnom Penh, sur ordre des Khmers rouges.
La famille Ung a quitté la ville dans la camionnette familiale. La plupart des habitants n’ont pas eu cette chance et doivent marcher en emportant le minimum.
Les soldats communistes ont obligé les 2 millions d’habitants à quitter Phnom Penh en quelques heures. Même les malades dans les hôpitaux ont dû partir sans rentrer chez eux ni revoir leur famille.
Le début de la destruction et des massacres
« Les soldats ont fait le tour du quartier, frappant à toutes les portes pour dire aux gens de partir. Ceux qui refusaient étaient abattus sur place ». Papa hoche tristement la tête.
« Pourquoi font-ils cela Papa ? » demande Kim.
- « Ils aiment détruire. » (..)
L’atmosphère d’aventure et de mystère s’est dissipée, il ne reste que la peur.
Au 4ème jour de l’exode, la famille Ung arrive à un poste de contrôle des Khmers rouges.
« Vous êtes à la base de Kom Baul ! Vous n’avez pas le droit de passer avant d’avoir été contrôlés. (..) Nos camarades soldats vont vous poser quelques simples questions ! Vous devez répondre franchement, sans mentir à l’Angkar ! » (..)
L’Angkar, dirigé par Pol Pot, admirateur de Mao, est le nouveau gouvernement du Cambodge. Imposant au Cambodge l’idéologie communiste fanatique et destructrice, l’Angkar s’acharne sur la population urbaine et sur les intellectuels. La monnaie, la famille, la religion et la propriété privée sont abolies.
« Quel est votre métier ? » Demande sèchement le soldat à papa.
- « Je travaille comme emballeur au port de marchandises ».
- « Et vous, que faites-vous ? » Le soldat pointe son index vers maman, dont les yeux ne quittent pas le sol. (..) « Je vends des vêtements d’occasion sur le marché. »
Au 7ème jour de l’exode, la famille Ung rejoint le petit village de Krang Truop où habite l’oncle Leang.
Oncle Leang et oncle aîné disent que les soldats ont remplacé les anciens chefs de village par des cadres Khmers rouges. Maintenant, les villageois doivent leur demander la permission pour toute initiative.
Les nouveaux arrivants travaillent aux champs ou à d’autres besognes dans le village.
« Quand papa rentre, tard le soir, il est sale et fatigué. (..) Il ne me prend presque plus jamais sur ses genoux. Ses caresses me manquent, ainsi que les vieilles légendes chinoises qui me faisaient rire. Les histoires que papa racontait parlaient souvent des divinités bouddhistes et de leurs dragons qui venaient sur terre pour combattre le mal et protéger les hommes. Je me demande si les dieux et les dragons viendront de nouveau nous aider… »
Changer souvent de village pour cacher sa véritable identité
La famille Ung ne peut plus rester chez l’oncle au village pour des raisons de sécurité. Elle reprend la route vers le village d’Anlungthmor. La pluie incessante rend la vie encore plus difficile.
« La pluie a inondé le village ; l’eau monte jusqu’à la taille (..) Nous avons froid et faim ; il n’y a rien d’autre à manger que les poissons et les lapins qui flottent sur l’eau. Papa attache un filet à un long bâton pour les attraper au passage dans le torrent qui coule devant notre hutte. »
« Les massacres ont commencé, annonce papa à mes frères aînés (..) Les Khmers rouges exécutent ceux qu’ils jugent dangereux pour l’Angkar. (..) N’importe qui peut être considéré comme une menace pour l’Angkar (..) même les gens qui portent des lunettes, ce que les soldats considèrent comme un signe d’intelligence. (..) si nous changeons souvent de village, nous éviterons peut-être le pire. »
D’après le livre : D’abord, ils ont tué mon père de Long Ung.
À suivre...
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