La famille de la petite Loung menait une vie heureuse à Phnom Penh. Elle doit maintenant cacher sa véritable identité. Elle change souvent de village pour ne pas être reconnue et éliminée par les Khmers rouges qui font la chasse aux citadins et aux intellectuels. Le récit de Loung Ung reflète ce qu’ont enduré des millions de cambodgiens sous les quatre ans de cette terrifiante dictature communiste.
Arrivée de la famille Ung au village de Ro Leap.
« Des villageois entourent le camion pour regarder les membres du "nouveau peuple", c’est-à-dire nous. (..) " On devrait tuer et fusiller les capitalistes ! " crie quelqu’un dans la foule en nous regardant d’un air menaçant. »
« Cinq cents membres de la " base " vivent à Ro Leap. On les appelle " ancien peuple " ou " peuple de la base " parce qu’ils habitaient déjà le village avant la révolution. La plupart des gens de la base sont des fermiers et paysans illettrés qui ont soutenu la révolution. Selon l’Angkar, ce sont des citoyens modèles (..) »
Le contrôle du peuple cambodgien par le génocide et une violence sans limite
Le chef du village, devant le « nouveau peuple » énumère les règles des Khmers rouges : tout le monde doit porter les mêmes vêtements noirs fournis par l’Angkar (le gouvernement khmer rouge), certains mots sont interdits comme monsieur, madame, papa, maman et d’autres encore, tout est partagé, il n’y a pas de propriété privée, les enfants ne vont pas à l’école, interdiction de tout enseignement sans l’approbation du gouvernement.
« La nuit les soldats patrouillent dans le village, regardent dans les maisons, prêtent l’oreille. S’ils entendent, ou croient entendre, des gens parler de politique, la famille aura disparu avant le matin. »
Les récoltes des champs sont remises au chef de village, qui redistribue la nourriture aux cinquante familles. Voler de la nourriture est considéré comme un crime, celui ou celle qui est pris risque de se faire couper les doigts sur la place publique, devant les villageois assemblés. Ou alors, il est forcé de cultiver un potager dans une zone proche des champs de mines identifiés. Les soldats khmers rouges en ont tellement posé, sans les répertorier, que de nombreuses personnes sont maintenant tuées ou blessées.
Les gens envoyés dans ces zones ne reviennent jamais au village. Quand ils marchent sur une mine et ont les bras ou les jambes arrachées, ils ne sont plus productifs et n’ont donc plus de valeur pour le régime communiste. Alors les soldats les tuent.
« Le gouvernement khmer rouge interdit les pratiques religieuses. Selon Kim, l’Angkar ne veut pas que les gens adorent des dieux ou des déesses, ce qui risquerait de diminuer leur fidélité à l’Angkar. Pour faire respecter cette règle, les soldats ont détruit des temples bouddhistes et autres lieux de culte. Ils ont aussi endommagé gravement l’Angkor Vat. »
« A Ro Leap, il y a souvent des viols de jeunes filles par les Khmers rouges. Les soldats viennent chercher les filles à leur hutte familiale. Les parents ne peuvent rien faire pour les en empêcher. Certaines reviennent, d’autres pas. »
Travailler péniblement toute la journée sans presque rien à manger
Meng et Khouy, les deux ainés de la famille, sont envoyés dans un camp de travail, où ils travaillent très dur. Ils chargent du riz dans des camions pour la Chine et déchargent des armes et des munitions venant de Chine.
Une rumeur circule : l’armée vietnamienne aurait tenté d’envahir le Cambodge. Un jour des soldats Khmers rouges arrivent au village pour annoncer : l’Angkar a besoin de tous les jeunes âgés d’environ treize à dix-sept ans, ils doivent partir dès le lendemain dans un camp de travail pour adolescents.
« En apprenant la nouvelle, Keav, les yeux remplis de larmes, court se réfugier dans les bras de maman. »
« Vous devez tous honorer l’Angkar et vous sacrifier pour lui ! braillent les soldats. Quiconque refuse d’obéir à l’Angkar est un ennemi et sera supprimé ! »
La ration alimentaire quotidienne a été progressivement réduite à un petit paquet de 340 grammes de riz pour dix personnes.
« Beaucoup sont morts, la plupart de faim, d’autres parce qu’ils ont absorbé des aliments empoisonnés, d’autres encore ont été tués par des soldats. (..) Nous avons mangé tout ce qui était mangeable, des feuilles pourries ramassées par terre, des racines que nous déterrons. Nous faisons cuire les rats, les tortues et les serpents que nous prenons dans nos pièges et nous mangeons tout, la cervelle, la queue, la peau et le sang. »
La fin douloureuse de Keav, sans revoir les siens
Keav est arrivée dans le camp de travail pour adolescents de Kong Cha Lat. Ils sont cent soixante, logés dans deux maisons, une pour les garçons, une pour les filles. De l’aube au coucher du soleil, tous travaillent dans les rizières. Les filles ont moins à manger que les garçons, mais elles travaillent aussi dur. Les repas sont composés de soupe de riz claire et de poisson salé.
Un jour Keav se réveille avec un estomac distendu et douloureux. La douleur est si forte qu’elle irradie dans tout son corps.
Elle doit cacher son émotion, sinon la surveillante pensera qu’elle est faible et ne mérite pas de vivre. Sa famille lui manque beaucoup et Keav ne peut retenir ses larmes ; elle s’essuie vite les yeux, avant qu’on ne la voie.
« Keav ne passera pas la nuit, elle est très malade, une mauvaise dysenterie. Ils pensent qu’elle a mangé quelque chose de mauvais. (..)
Après la mort de Keav, nos vies ne seront plus jamais les mêmes. La faim et la mort ont engourdi nos esprits. Nous avons perdu toute force vitale. (..)
Papa s’efforce de nous redonner courage. " Nous devons agir comme s’il ne s’était rien passé. Il ne faut pas donner au chef l’impression que nous ne sommes plus capables de contribuer à leur société. Nous devons préserver nos forces pour continuer à vivre. " » (..)
Papa emmené par les Khmers rouges
La famille Ung vit dans la peur constante d’être démasquée, il ne faut pas que les Khmers rouges connaissent leur passé à Phnom Penh. Chaque fois que Loung voit arriver des soldats au village, son cœur bondit, car elle craint qu’ils viennent chercher son père.
« Une nuit, allongée sur le dos à côté de Chou et de Kim, j’entends papa murmurer à maman : " ils savent ". Je fais semblant de dormir. " les soldats ont emmené un grand nombre de nos voisins. Personne ne parle jamais de ces disparitions. Il faut se préparer au pire. Nous devons envoyer les gosses vivre ailleurs, en changeant leurs noms. (..)
- Non, répond maman d’un ton suppliant. Ils sont trop jeunes.
- Je veux qu’ils soient en sécurité, je veux qu’ils vivent (..) Pas tout de suite, mais bientôt…" »
Le lendemain, deux hommes en noir se dirigent vers la maison, portant négligemment leurs fusils en bandoulière.
« " Votre père est là ? Nous demande l’un d’eux.
- Oui ", répond Kim. Papa les a entendus, il sort de la hutte, très raide, tandis que nous faisons cercle autour de lui.
" Que désirez-vous ?
- Nous avons besoin de votre aide. Notre char à bœufs s’est embourbé à quelques kilomètres d’ici. Il faut que vous nous aidiez à le dégager.
S’il vous plaît, pouvez-vous attendre un moment pour que je puisse parler à ma femme et à mes enfants ? " »
Les soldats leur laissent un peu de temps. Les parents entrent dans la hutte. Peu après, Sem Im revient, seul. Ai Choung sanglote tout bas dans la hutte.
« Papa fait face aux soldats, pour la première fois depuis la prise du pouvoir par les Khmers rouges, il se redresse de toute sa hauteur. (..)
Soudain, à ma surprise, il me soulève du sol. Il me serre très fort dans ses bras et embrasse mes cheveux. »
Il prend ainsi dans ses bras ses trois filles pour leur dire adieu, puis il confie à son garçon Kim, lui mettant les mains sur les épaules : « Prends bien soin de maman, de tes sœurs et de toi-même. »
D’après le livre D’abord, ils ont tué mon père de Long Ung.
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