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Société. La face cachée du modèle de distribution en vrac

TENDANCE > Société

De façon contre-intuitive, la vente de produits sans emballage peut devenir antiécologique et générer du gaspillage. Sans étiquette, les dates de péremption des produits prennent le risque d’être oubliées. Sans éducation culinaire, les consommateurs sont livrés à eux-mêmes pour cuisiner. Sans compter qu’avec la mode de l’emballage sur mesure, jamais autant de contenants n’ont été achetés. Une priorité pour le modèle de distribution en vrac : accompagner les consommateurs.

Le modèle de distribution en vrac fait parler de lui ces derniers temps avec l’entrée dans les supermarchés de marques très connues, comme la Vache qui rit. Cet exemple est l’illustration des multiples nouveautés que les acteurs du vrac cherchent à insérer dans cet univers pour lui donner de l’ampleur et le démocratiser. Le modèle du vrac, un moyen simple pour consommer durablement ?

Il est décrit comme une pratique de consommation avec un moindre impact sur l’environnement, car il s’agit d’une vente de produits sans emballage, sans plastique, sans déchets superflus, mais dans des contenants réutilisables. Dans ce mode de distribution, on assiste à la disparition de l’emballage prédéterminé par l’industriel.

Distributeurs et consommateurs doivent donc assumer eux-mêmes la tâche d’emballer le produit et assurer la continuité des multiples fonctions, logistiques et marketing, que l’emballage remplit habituellement. N’étant pas habitués à ce nouveau rôle, les acteurs du vrac peuvent faire des erreurs ou bien agir à l’opposé des bénéfices écologiques a priori attendus pour ce type de pratique.

Contrairement aux discours habituellement plutôt positifs sur le vrac, notre recherche met également en avant les effets pervers et néfastes du vrac. Quand les acteurs du vrac doivent se « débrouiller » pour assurer cette tâche nouvelle de l’emballage des produits, le vrac rime-t-il toujours avec l’écologie ?

Assurer l’emballage autrement

La face cachée du modèle de distribution en vrac
L’emballage joue un rôle clé. Il assure en effet de multiples fonctions, essentielles pour rendre possible la distribution et la consommation des produits. (Image : Sonyachny / envato)

L’emballage joue un rôle clé. Il assure en effet de multiples fonctions, essentielles pour rendre possibles la distribution et la consommation des produits :

  • Des fonctions logistiques de préservation, de protection et de stockage du produit. L’emballage peut permettre de limiter les chocs et les pertes, notamment lors du transport.
  • Des fonctions marketing de reconnaissance de la catégorie de produit ou de la marque. Elles s’illustrent par un choix de couleur spécifique ou une forme particulière, pour créer de l’attractivité en rayon. L’emballage assure également, du point de vue marketing, une fonction de positionnement en véhiculant visuellement un niveau de gamme particulier, mais aussi d’information, l’emballage servant de support pour communiquer un certain nombre d’éléments : composition, date limite de consommation, etc.
  • Des fonctions environnementales, liées au fait de limiter la taille de l’emballage et privilégiant certains types de matériaux, en particulier, recyclés et recyclables.

Dans la vente en vrac, ce sont les consommateurs et les distributeurs qui doivent remplir, à leur manière, ces différentes fonctions. Ils peuvent donc y accorder plus ou moins d’importance, en en privilégiant certaines par rapport à d’autres. Dans la mesure où l’industriel ne propose plus d’emballage prédéterminé pour ses produits, consommateurs et distributeurs doivent s’approprier cette tâche de manière conjointe.

Assimilation ou accommodation

Pour étudier la manière dont les consommateurs et les distributeurs s’approprient les fonctions de l’emballage, alors même que celui-ci n’est plus fourni par les industriels, nous avons utilisé une diversité de données : 54 entretiens avec des responsables de magasin et de rayon vrac, et des consommateurs, 190 posts sur le réseau social Instagram et 428 photos prises au domicile des individus et en magasin.

Notre étude montre qu’il existe deux modes d’appropriation des fonctions de l’emballage :

  • Par assimilation : quand les individus trouvent des moyens pour imiter les emballages typiques et leurs attributs ;
  • Par accommodation : quand ils imaginent de nouveaux emballages et nouvelles manières de faire.

Certains consommateurs réutilisent les emballages industriels, tels que les boîtes d’œufs et les bidons de lessive, car ils ont fait leurs preuves en matière de praticité. D’un autre côté, les emballages deviennent le reflet de l’identité de leurs propriétaires. Certains sont bricolés, d’autres sont choisis avec soin, en privilégiant certains matériaux, comme le wax, par exemple, un tissu populaire en Afrique de l’Ouest, utilisé pour les sachets réutilisables.

Quand l’emballage disparaît, les informations utiles disparaissent

La face cachée du modèle de distribution en vrac
L’appropriation des fonctions de l’emballage n’est pas toujours chose facile. Il existe une « face cachée » du vrac, avec des effets néfastes sur la santé, l’environnement ou l’exclusion sociale. (Image : newman_studio / envato)

L’appropriation des fonctions de l’emballage n’est pas toujours chose facile. Il existe une « face cachée » du vrac, avec des effets néfastes sur la santé, l’environnement ou l’exclusion sociale. Le vrac peut conduire par exemple à des problèmes d’hygiène ou de mésinformation, si les consommateurs n’étiquettent pas correctement leurs bocaux ou réutilisent un emballage pour un autre usage. Par exemple, utiliser une bouteille de jus de fruits en verre pour stocker de la lessive liquide peut être dangereux si tous les membres du foyer ne sont pas au courant de ce qu’elle contient.

Le vrac peut également être excluant pour des personnes moins éduquées sur le plan culinaire (les consommateurs de vrac de plus de 50 ans et CSP + constituent 70 % de la clientèle de ce mode d’achat). Quand l’emballage disparaît, les informations utiles disparaissent. Certains consommateurs en ont réellement besoin pour reconnaître, stocker et savoir comment cuisiner le produit. Dans ce cas, le produit peut finalement finir à la poubelle !

Nous montrons également toute l’ambivalence de la fonction environnementale du vrac : l’idée initiale de cette pratique étant de réduire la quantité de déchets d’emballage, puisqu’elle n’est pas toujours satisfaite. Les consommateurs sont nombreux à acheter beaucoup de contenants et tout ce qui va avec pour les customiser – étiquettes et stylos pour faire du lettering, etc.

La priorité de certains consommateurs n’est pas tant de réutiliser d’anciens emballages, mais plutôt d’en acheter de nouveaux… fabriqués à l’autre bout du monde ! Il en résulte donc un gaspillage massif, au total opposé des finalités initiales du vrac.

Distribution en vrac : des consommateurs pas suffisamment accompagnés

La face cachée du modèle de distribution en vrac
En grande distribution, certaines enseignes ont investi pour rendre le rayon vrac attractif. Mais faute d’accompagnement, les consommateurs ne sont pas parvenus à se l’approprier. Le rayon du vrac est devenu un rayon parmi d’autres. (Image : Rawpixel / envato)

Après une période de forte croissance, le vrac a connu une période difficile lors de la pandémie de Covid-19, conduisant à la fermeture de nombreux magasins spécialisés, selon le premier baromètre du vrac et du réemploi. En grande distribution, certaines enseignes ont investi pour rendre le rayon vrac attractif. Mais faute d’accompagnement, les consommateurs ne sont pas parvenus à se l’approprier. Le rayon du vrac est devenu un rayon parmi d’autres.

Il semble que les choses s’améliorent et les innovations se multiplient. 58 % des adhérents du réseau Vrac et réemploi notent une hausse de la fréquentation journalière sur janvier-mai 2023 par rapport à 2022. Les distributeurs doivent s’adapter à l’évolution de la réglementation.

Cette dernière stipule qu’à l’horizon 2030, les magasins de plus de 400 m2 devront consacrer 20 % de leur surface de vente de produits de grande consommation à la vente en vrac. La vente en vrac a d’ailleurs fait son entrée officielle dans la réglementation française avec la Loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, parue au JORF no 0035, le 11 février 2020.

Dans ce contexte, il est plus que nécessaire et urgent d’accompagner les acteurs du vrac pour qu’ils s’approprient correctement la pratique.

Rédacteur Charlotte Clémence

Auteurs
Fanny Reniou : Maître de conférences HDR, Université de Rennes 1 - Université de Rennes
Elisa Robert-Monnot : Maître de conférences HDR, CY Cergy Paris Université
Sarah Lasri : Maître de Conférences, Responsable du Master 2 Distribution et Relation Client, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir du site The Conversation, sous licence Creative Commons

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