Imaginez des fruits et légumes à profusion, des bouquets de fleurs fraîchement coupées, ou un ballet incessant de vendeurs et d’acheteurs professionnels négociant âprement les prix. Le décor est planté pour présenter le marché de Rungis, situé à proximité de Paris. Il rassemble bien des superlatifs : le plus grand marché de produits frais au monde, le plus grand marché de gros, garde-manger hors norme, etc. Cet article propose un bref regard sur ce lieu unique.
Un passé quasi millénaire
Il faut remonter au XIIe siècle pour retrouver les esquisses d’un marché alimentaire, ancêtre de l’actuel marché de Rungis. Le roi Louis VI le Gros, cinquième roi de la dynastie des Capétiens fait construire en 1137 un marché qui prendra vite de l’ampleur. Son emplacement était situé au niveau des rues saint-Honoré, Montmartre et Saint-Denis. Le roi Philippe Auguste, en bâtisseur, y adjoindra les premières halles en bois alors que François 1er va s’ingénier à les moderniser. Au fil des siècles, le site devient le marché de gros le plus important de Paris. À la Révolution, les pavillons de fruits et légumes viennent s’ajouter aux pavillons uniquement dédiés aux poissons à l’origine. Des problèmes d’insalubrité se posent cependant. C’est dans ce contexte qu’au Second Empire sont érigés les pavillons de Baltard.
Le nouveau visage du « ventre de Paris »
Sur ordre de Napoléon III enclin à réhabiliter et moderniser le quartier des Halles, les architectes Victor Baltard et Félix Callet mettent en œuvre dix pavillons avec des matériaux révolutionnaires pour l’époque : le fer, la fonte et le verre. L’ouvrage construit entre 1853 et 1870 est salué par l’empereur et remporte un franc succès. Gustave Eiffel, qui à l’époque n’avait pas encore construit sa célèbre tour, aurait déclaré que « Baltard ouvre Paris au XXe siècle ». Quant à Émile Zola, fortement inspiré par le nouvel édifice, il écrit le roman intitulé Le Ventre de Paris, publié en1873. L’effervescence et la démesure liées aux pavillons des Halles servent de décor à la trame romanesque de l’œuvre. Dès le lever du jour, c’est le « ventre » qui anime les personnages et les lieux.
Les Halles poursuivent leur expansion. Au début du XXe siècle, pas moins de 17 000 tonnes de marchandises transitent chaque jour au cœur du gigantesque marché parisien. En dépit de l’engouement général, les pavillons conçus par Baltard seront amenés à changer de visage et de destination un siècle plus tard. À partir des années 1950, l’engorgement et le manque de salubrité des halles parisiennes nécessitent de nouvelles mesures gouvernementales.
Le marché de Rungis et le déménagement du siècle
La création de places commerciales d’intérêt national, plus adaptées au monde moderne, est à l’ordre du jour. En 1959, sous le mandat présidentiel de Charles de Gaulle, la ville de Rungis est désignée apte à recevoir le futur marché international afin de désengorger la capitale. Entre le 28 février et le 1er mars 1969 est organisé ce qui fut appelé « le déménagement du siècle », mobilisant environ 30 000 personnes, 1 500 véhicules de transport et pas moins de 400 camions de déménagement, d’après les chiffres du site de Rungis marché international. L’opération a nécessité une logistique toute militaire requérant même l’intervention de l’armée.
Dans le même temps, l’événement provoque une vague de protestations. Sur le site des archives de Paris, on peut lire : « Cette décision provoque des réactions importantes de la part des Parisiens qui signent des pétitions et animent des groupes de pression contre la destruction des pavillons et les expropriations engendrées par la rénovation du quartier. C’est la fin d’une activité devenue mythique dans le paysage et la définition même de Paris ». De nombreuses voix ont estimé que le marché de Rungis allait marquer « la fin d’un monde ».
Quel est le nouvel état des lieux ?
Après plus d’un demi-siècle d’existence, qu’est-il advenu de l’actuel marché de Rungis, connu pour être le plus gros marché de produits frais au monde ?
Rungis, désigné comme un « marché d’intérêt national » (MIN) représente 234 hectares, soit une superficie plus importante que la Principauté de Monaco, 13 000 employés, 5 secteurs d’activité, à savoir le poisson, la viande, les produits laitiers, les fruits et légumes, l’horticulture et la décoration. L’année 2022 a dénombré plus de 6 millions d’entrées et plus de 4 000 nouveaux acheteurs. Les quelque 3 millions de tonnes de marchandises ayant transité cette même année ont généré un chiffre d’affaires de dix milliards d’euros. Ajoutons que le marché de Rungis nourrit quotidiennement 18 millions de Français.
Un marché, emblème du savoir-faire à la française
Face à un bilan vertigineux, le marché de Rungis, est-il à la hauteur de ses attentes en matière de fraîcheur, de qualité, de savoir-faire ? Pour Stéphane Layani, directeur de la Semmaris, la société d’exploitation du marché de Rungis, Rungis, c’est bien plus qu’un marché de gros, c’est un « véritable trésor national » puis il ajoute : « Notre expérience dans l’ingénierie de marché est tout à fait exceptionnelle et unique au monde ».
Face aux nouvelles exigences des consommateurs, tournés vers une alimentation plus durable et plus propre, il se veut rassurant : « Il faut s’adapter à la demande des consommateurs, les écouter, analyser leurs demandes ». Par ailleurs, Guy Chelma, Professeur d’Université à l’Université de Paris IV-Sorbonne, auteur de l’œuvre Les Ventres de Paris avait annoncé : « Rungis va permettre une moralisation des professionnels par des circuits établis pour les facturations, les contrôles, l’hygiène ».
Doté d’un gigantisme impressionnant à la faveur d’un passé mythique, le marché de Rungis semble afficher pour l’heure une stratégie payante qui rayonne à l’internationale.
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